On connait l’intérêt voire l’admiration de Berlioz pour le répertoire lyrique français des deux siècles précédant le sien : fervent amateur de Gluck surtout, reconnaissant également Rameau, compositeur alors complétement oublié, sur lequel Berlioz a écrit plusieurs articles élogieux et dont il avait lu les écrits théoriques. Que le prestigieux festival que lui consacre son village natal décide cette année de programmer un récital largement consacré au maitre dijonnais est donc bien plus qu’une bonne idée de musicologue.
Dans le cadre de la chapelle de la Fondation Apprentis d’Auteuil, à la fois vaste par ses dimensions et intime par son acoustique, étonnamment peu réverbérée, le concert de ce soir frise la perfection. Le Jeune Orchestre Rameau met-il du temps à se chauffer ou les dissonances et décalages sont-ils voulus par Rameau lui-même dans la décidément détonante ouverture de Naïs ? Sans doute un peu des deux car la suite du concert les voient rigoureux, précis, équilibrés, dansants et loyaux à la baguette d’un Bruno Procopio qui n’a pas peur de bousculer une certaine tradition interprétative. Nous n’avons, par exemple, pas souvenir d’avoir entendu des cordes aussi présentes dans l’introduction de « Tristes apprêts ». L’effet est très réussi, le malaise de Telaïre semble nous gagner, sa fébrilité, tandis que son hébétude est portée par un basson bien moins solitaire qu’à l’habitude. Signalons également le souci musicologique qui a présidé à l’élaboration de ce programme : outre une version rare du Tonnerre d’Hyppolite et Aricie datant de 1742 (et recréée par ce même orchestre en 2021 seulement), de larges extraits de son talentueux, mais toujours méconnu, contemporain Antoine Dauvergne ont été insérés. Enfin il n’est pas si courant d’entendre des extraits des Sybarites ou ces tambourins-ci de Dardanus. A coté des raretés, beaucoup de tubes aussi, dont la chaconne finale des Indes Galantes, une des plus belles et difficiles page de Rameau. Cette heure et demie de musique n’avait donc rien d’un parcours de santé pour la trentaine de musiciens réunis, et leur réussite est d’autant plus éclatante qu’ils ont peu l’habitude de jouer ensemble et sont pour beaucoup de jeunes musiciens (le – très bon – timbalier est-il seulement majeur ?) issus de conservatoires supérieurs de musique du monde entier, épaulés par des professionnels plus confirmés. Bien sûr le trac s’en mêle parfois un peu : le trompettiste surexposé dans la Chaconne pour tous les Peuples n’évite pas quelques fausses notes, mais il se surpassera, osant même quelques variations jazzy lors du bis de ce même morceau. On regrette de ne pouvoir entendre plus souvent cet ensemble et espérons sincèrement que ce programme fera l’objet d’une tournée, voire d’un disque.
© Bruno Moussier
Et que serait un tel écrin sans une pierre précieuse ? Celle de ce soir n’a rien d’un gros diamant tape-à-l’œil, ce serait plutôt une perle brillante et simple, belle dans la régularité de son éclat. Jodie Devos est maintenant bien connue des mélomanes pour avoir redonné vie à des morceaux pour coloratures du répertoire français du XIXe avec pour armes principales un français cristallin, un timbre richement coloré et un naturel désarmant qui attire la sympathie, tout en faisant oublier des suraigus souvent tendus. Or point de suraigus chez Rameau, la chanteuse peut ce soir se concentrer sur tout ce qui fait son charme. Là où beaucoup gonflent leur voix pour donner aux mots leur poids tragique, Jodie Devos ne cherche pas à se faire plus grosse que le mythe. A l’inverse, son naturel l’éloigne de l’affèterie qui peut vite salir les ailes de tous ces amours volants. Elle est proche de notre idéal pour ce répertoire. On admire le mélange de sincérité et délicatesse par lequel elle aborde « Viens Hymen » et si le « Triomphe aimable paix » de Dauvergne la voit moins à son aise, quel éclatant « Règne amour » de Zoroastre aux aigus solides et souples, contrastant avec un « Tristes apprêts » dépouillé, à la prononciation parfaite, nette sans introduire trop d’angles dans une émission qui conserve toute sa rondeur ! Un mot enfin sur son « Aux langueurs d’Apollon » : une Folie douce, sans histrionisme, aux excès purement belcantiste qui font déborder une pulpe vocale intacte, une Folie un peu timide certes, mais que ce sourire en coin est agréable, qu’il est aimable, pour qui veut bien perdre sa férocité.