Mozartien accompli (il est sous la direction de René Jacobs, l’un des plus beaux Tamino de la discographie), Daniel Behle est également reconnu dans les répertoires baroque et romantique. Friand de (re)découvertes, le ténor a publié deux albums remarqués : l’un centré sur la période italienne de Gluck, l’autre regroupant des airs d’opéra composés par Schubert. Dans le récital présenté ce soir au Festival Bayreuth Baroque, Daniel Behle nous entraîne dans un voyage à travers l’Europe de la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
Dans l’écrin délicieusement baroque du Markgräfliches Opernhaus de Bayreuth, on côtoie ce soir le compositeur italien Luigi Gatti (1740–1817), connu pour avoir rencontré le jeune Mozart à Milan avant de devenir maître de chapelle à Salzbourg, mais aussi le bavarois Peter von Winter – ce dernier n’écrivit ni plus ni moins qu’une suite de la Flûte enchantée créée à Vienne en 1798 avec une grande partie de la distribution d’origine du chef d’œuvre mozartien. Quant à Antonio Sacchini, après une carrière en Italie puis en Angleterre, il devint à Paris l’un des musiciens favoris de Marie-Antoinette dans les années 1780. De ces compositeurs, auxquels s’ajoutent Antonio Tozzi, Johann David August von Apell, Jan Antonín Koželuh, Tommaso Traetta et Josef Mysliveček, Daniel Behle propose plusieurs airs italiens, la plupart de style seria, dans un programme intitulé « Kings of Bravura ». Cette sélection met en avant le caractère héroïque de la voix de ténor, et une virtuosité que l’on a peu l’occasion d’entendre pour ce type de tessiture.
Daniel Behle, qui n’a pas choisi la facilité, propose en première partie trois arias ahurissantes de difficulté. Le chanteur doit y affronter une tessiture de près de deux octaves, des sauts de registre et une écriture exigeant à la fois souffle et virtuosité. Le ténor, certes un peu en retrait lors de l’aria « Pensa che in campo armato » d’ouverture, relève crânement le défi, osant une cadence jusqu’au contre-ré (en trille !), puis un irrésistible dialogue avec la partie de cor obligato du « Puoi vantar le tue ritorte » de Luigi Gatti. Dans « Mentre il cor con meste voci » d’Antonio Sacchini, Daniel Behle, cette fois en duo avec le basson, fait montre d’un souffle qui semble inépuisable. Tout au long de cette première partie, on regrette toutefois un rien de prudence ainsi qu’un certain manque de communication avec le public de la part d’un Daniel Behle n’émergeant que rarement de son pupitre et de ses partitions.
La deuxième partie du programme est davantage diversifiée en termes d’écriture vocale. Dans le très inspiré « Care pupille belle » de Mysliveček, le ténor est superbe de nuance et de délicatesse, tel un Ferrando de Cosi fan tutte. Plus détendu, il enchaîne ensuite courageusement quatre arias – dont deux en rappel – requérant à nouveau bravoure, panache et coloratures insensées. Dans l’étonnant « Amor m’accese un dì » de Peter von Winter, le dialogue avec les instruments à vents est très réussi. L’aria « Mentre ti lascio, oh figlia » de Tommaso Traetta, avec soli de flûte et cordes pizzicato, met quant à lui en avant le très beau timbre et la science du legato de Daniel Behle. Au final, un récital très exigeant, dont Behle ne vient peut-être pas complètement à bout – mais en live, à l’impossible nul n’est tenu ! C’est assurément un projet original – les récitals virtuoses pour ténor étant plutôt rares – que l’on espère retrouver prochainement au disque.
Dans les arias avec instruments obligés présentés ce soir, il faut également louer la prestation des valeureux solistes du Concerto Köln, ensemble en résidence pour l’édition 2023 du Festival : Rebecca Mertens au basson, Christian Binde et Jörg Schulteβ au cor. La Symphonie en sol mineur opus 6 no.6 de Johann Christian Bach, grand classique des récitals d’ensembles baroques, est le sommet de la partie instrumentale de ce soir. Dans ce monument du Sturm und Drang, l’orchestre se révèle orageux et tumultueux à souhait. Emmené énergiquement du premier violon par Evgenii Sviridov, le pupitre de cordes y virevolte, sans jamais sombrer dans la précipitation. Dans l’ouverture de l’Olimpiade de Mysliveček, le Concerto Köln fait sonner cors, trompettes et timbales, apportant l’urgence qu’il faut pour donner un supplément d’âme à cette musique. Une belle prestation pour ce Concerto Köln, par ailleurs lancé dans un tout autre projet : la première intégrale (au disque et à la scène) du Ring de Wagner sur instruments d’époque, sous la direction de Kent Nagano !
Ce récital est retransmis le mardi 19 septembre sur la chaîne Facebook du Festival Bayreuth Baroque.