Les voies du Seigneur sont, dit-on, impénétrables. Les palmarès des concours de chant lyrique aussi…
Paris Opera Competition se démarque de ses congénères par une volonté d’ouverture à un large public, au-delà des seuls casuistes de la glotte. La mise en espace de Florence Alayrac, les dessins de Céline Pagan – un par numéro – projetés en fond de scène, les costumes de Nicolas Aubagnac veulent bousculer l’inévitable défilé des candidats. La fluidité des entrées et sorties est admirable, souligne Roselyne Bachelot invitée à décoincer la cérémonie avec son franc parler et son humour coutumiers. Ses interventions entre chaque salve de numéros forment une respiration souriante dans une soirée où l’on sent moins que d’autres fois l’appréhension des jeunes chanteurs soumis à l’examen d’un jury de haute volée et, en fin de compétition, au vote électronique du public. En guise d’accompagnement, non un piano mais un (bon) orchestre – les Frivolités parisiennes (bien) dirigées par Victor Jacob – tente de se plier à tous les styles musicaux convoqués, du baroque haendélien au romantisme post-wagnérien de Zandonai. A l’impossible nul n’est tenu. Jusqu’au programme conçu à la manière d’un florilège lyrique. Duos, voire trios, alternent avec les airs – un seul par candidat ; c’est un peu court pour se forger une opinion solide. Là est la limite de l’exercice.
Toute erreur de répertoire peut s’avérer fatale. Nombreux sont les prétendants au titre à ne pas encore avoir l’étoffe du héros ou de l’héroïne choisis, quels que soient par ailleurs leurs mérites. Tel est le cas de Seray Pinar, mezzo-soprano turque entrée cette année à l’Académie de l’Opéra de Paris, débordée par le flux tumultueux de « Amour, viens rendre à mon âme », ses sollicitations dans le bas de la tessiture et la cadence infernale qui la cueille à court de souffle et d’imagination. Tel est aussi le cas de Milan Perisic dont l’air de Ford, extrait de Falstaff, prouve que le jeune Serbe – 31 ans – n’est pas encore le baryton-Verdi ambitionné. Loin s’en faut en termes de métal, d’ampleur et de mordant. Tel est encore le cas de Christopher Sokolowski, ténor américain lost in translation entre Roméo (de Zandonai) et Siegmund. Le premier voudrait plus de lumière, le second plus de muscle. Tel est enfin le cas de Julie Roset, soprano délicat mais trop léger pour traduire les craintes et tourments de Giunia (et même donner corps à Suzanna). Les élans de bravoure, dépourvus d’intention, se diluent dans un tendre gazouillis. Elle reçoit le 3e prix.
De Valérie Eichkoff, mezzo-soprano allemande invitée régulièrement à chanter Cherubino, Rosina et Cenerentola au Deutsche Oper am Rhein, on retient la chaleur enveloppante d’une voix à la souplesse aguerrie par la fréquentation de rôles rossiniens. C’est beaucoup mais encore insuffisant pour déchaîner les éléments dans l’aria di tempesta qu’est « Dopo notte ». « Ah, lève toi soleil », la cavatine du Roméo de Gounod, flatte le placement de la voix, la conduite scrupuleuse et la ligne égale de Gonzalo Quinchahual, ténor dont les couleurs et quelques légers défauts de prononciation trahissent les origines sud-américaines. Moins assurés, Nadir puis Ferrando empêchent la transformation de l’essai.
L’aisance scénique et la mâle velours du timbre d’Ossian Huskinson aurait voulu mieux que l’Air du catalogue pour se démarquer de ses concurrents, d’autant que Figaro, sans grand relief dans le duo des Noces, ne l’aide pas à marquer davantage de points. Qu’importe ! Le baryton-basse britannique a suffisamment de personnalité pour tracer sa route. Son nom est à suivre. Tout comme celui de Jasmin Delfs, soprano allemande capable de haute voltige – elle a fait ses débuts en reine de la nuit en 2022 dans le Young Singers Project de Salzbourg. « Salut à la France » intelligemment orné, fait valoir l’envergure, le tempérament dramatique et le bagage technique d’une voix qui, exploitée en ce sens, pourrait se destiner aux grands rôles belcantistes.
Émule de Lise Davidsen dont elle semble marcher sur les brisées, comme elle norvégienne, Hedvig Haugerud possède l’émission large, le soutien et l’ardeur d’un soprano wagnérien, avec l’effet torche que produit immanquablement ce type de chant, en dépit d’un fléchissement d’intensité dans les dernières phrases de « Dich, teure Halle ». Elle obtient le deuxième 2e prix.
De l’avis du jury et de la majorité de l’assistance, la compétition est dominée par Lauranne Oliva. Charme et grâce défient les lois de l’apesanteur dans le Duo du jasmin. Fraîcheur, musicalité et précision des aigus esquissent une folie d’Elvira encore timide. Outre l’attention au mot, commune à tous les rôles dans tous les répertoires, les vierges éplorées, les reines bafouées et autres cinglées du belcanto exigent une virtuosité plus éloquente. Patience. Âgée de seulement 23 ans, Lauranne Oliva dispose du temps suffisant pour que ses fruits tiennent les promesses de la jeune fille en fleur. Elle reçoit le premier prix ainsi que le prix du public.