Jakub Józef Orliński revient au Théâtre des Champs-Elysées, dont il est devenu en peu de temps un habitué, avec son troisième programme d’airs sacrés baroques : Anima eterna. Toujours aussi rares que bien adaptés aux moyens du contre-ténor, ces airs sont l’occasion de découvrir ou approfondir notre connaissance de certains compositeurs en compagnie d’un chanteur, dont la renommée actuelle pourrait très bien lui permettre de se contenter d’un répertoire plus couru. D’autant que 4 morceaux donnés ce soir ne figurent même pas sur le disque. Ce programme est néanmoins plus virtuose que les précédents, à l’image des moyens du chanteur qui continuent de se développer sagement : on remarque des trilles plus assumés, une meilleure maitrise des crescendi, même si certains points d’orgues sont toujours un peu hululés, et même des messa di voce. Ce programme est enfin une sorte de synthèse : le sacré d’Anima Sacra, avec les emportements de Facce d’Amore.
Le concert fait alterner moments très profonds, tours de parades mais aussi quelques contre-sens d’interprétation. Jeune et enthousiaste, Orliński a parfois tendance à trop prendre la pose et surjouer la sympathie. C’est fort agréable entre les airs, mais hélas il ne se départit parfois pas de cet éclat dans les airs : il gagne en proximité avec le public, ce qu’il perd en justesse de ton dramatique.
Le concert démarre vivement par un air virtuose de Perez qui ne souffre pas de ce défaut. Tandis que l’air de Fux censé illustrer l’amour et la crainte de Dieu manque totalement de contrition : techniquement parfait, le chant hélas trop extérieur manque d’intelligence du drame. C’est Jakub qui se regarde déclarer son amour à sa bien-aimée, pas le Pécheur repenti du livret, on rate ici ce qui fait l’émouvante ambiguité de ce répertoire.
L’incroyable motet de Zelenka lui va heureusement beaucoup mieux. C’est clairement le morceau le plus étonnant de ce programme : l’orchestre y vole régulièrement la vedette au chanteur (cette ritournelle folle au basson inextinguible !), on est proche de la « battle » où chaque partie alterne. Ce chant très déclamatoire lui va bien : présentant peu de difficultés techniques et alignant des vocalises assez prévisibles, Orlińksi n’en fait qu’une bouchée, mettant l’emphase sur l’indignation voulue par le texte (devant l’erreur du peuple qui ne sut pas reconnaitre la divinité de Jésus) avec de beaux effets variés sur « horrida ».
Après l’entracte, les airs de Conti et Schiassi sont plus génériques mais toujours flatteurs pour le chanteur. Si l’air d’Ozias chez Reutter manquait de sévérité et donc de caractère (ici encore, le contre-ténor a manqué d’intelligence du personnage et du drame pour rendre justice au texte), ce même personnage sous la plume de d’Almeida lui va comme un gant. Après une superbe et minimaliste introduction au théorbe, le polonais respecte parfaitement la pudeur du morceau, tout en réussissant à y intégrer des éléments de vocabulaire bel cantiste dont on ne le savait pas capable (outre les deux très belles messa di voce, des passages très maitrisés en voix de poitrine pour élargir son ambitus). C’est avec le même bonheur qu’il aborde ce méconnu Alleluia de Haendel, à la fois douloureux et glorieux.
Le chanteur est enfin toujours aussi généreux : après avoir remercié Yannis François, le « dénicheur de trésor » qui lui a offert ce programme et celui des deux précédents opus (et qui est décidemment derrière beaucoup des plus belles réussites de récitals baroques ces dix dernières années), c’est à pas moins de 4 bis que le public a droit.
Pour l’accompagner, Il Pomo d’Oro est proprement méconnaissable. Si les solistes sont toujours aussi virtuoses, le continuo est bien plus fourni (plus d’un tiers de l’effectif : clavecin, 2 violoncelles, théorbe, basson, contrebasse et même un orgue !) que lors de leurs derniers concerts parisiens auxquels nous ayons assisté. La baguette de Francesco Corti n’y est certainement pas étrangère, lui qui dirige régulièrement depuis quelques années Les Musiciens de Louvre apporte beaucoup des qualités de cet ensemble : justesse rythmique, science des volumes, foison harmonique, et surtout cette capacité à porter le chanteur à se dépasser, sans le bousculer. On en regretterait presque que l’ouverture de Zelenka ait dû être coupée par rapport au programme annoncé.