Votre dernière interview pour Forumopéra date de 2010 ! Que s’est-il passé pour Anne-Catherine Gillet depuis tout ce temps ?
2010 c’est plus ou moins l’époque où j’ai commencé à aborder les grands rôles ; jusque-là je tenais de petits rôles et cela me convenait très bien. Et je pense que je reste attachée à ces seconds rôles ; c’est grâce à eux qu’on apprend son métier. En 2010 j’ai commencé ainsi à aborder le rôle de Blanche qui est peut-être le rôle de ma vie. J’avais commencé d’approcher les Dialogues par Constance mais très vite j’ai voulu passer à Blanche.
Il y a chez vous, de toujours, cette fascination pour les Dialogues ; comment l’expliquer ?
C’est le thème d’abord ; et puis surtout j’aime dans l’opéra les anti-héros, c’est pourquoi je suis si attachée aussi à un rôle comme l’Aiglon. On est très loin des héroïnes flamboyantes auxquelles je ne ressemble pas en fait. J’ai vraiment besoin de me sentir proche des personnages que j’incarne. Toutefois, quand j’ai chanté Manon, je ne me suis pas tout de suite identifiée au personnage ! Mais c’était important de comprendre Manon, de comprendre comment elle est devenue ce qu’elle est.
Il y aussi chez vous le sens du collectif que vous avez souvent mis en avant , l’importance de faire partie d’un ensemble sur scène ; et pourtant, plus vous abordez les premiers rôles, plus vous êtes seule ?
Oui, cela reste un challenge à chaque fois ; car je suis quelqu’un qui doute beaucoup ; j’ai toujours ce doute en moi qui est une force, mais aussi une souffrance. Je doute donc je suis ! C’est peut-être bien de douter mais cela prend beaucoup d’énergie !
Vous aviez aussi parlé en 2010 de Tatiana.
J’y avais réfléchi en effet, j’avais même pris des cours de russe mais j’ai finalement renoncé. J’ai craint le trou noir et cette langue, le russe, m’était tellement étrangère. Je ne regrette pas cette décision et puis il y a un an j’ai chanté le duo final de Eugène Onéguine et je me suis sentie très bien.
Vous êtes ici à Toulouse, ville que vous connaissez bien et qui compte pour vous.
Oui j’y ai chanté pour la première fois en 2003, Woglinde du Crépuscule, à l’époque de Nicolas Joël, qui m’a beaucoup aidée au début de ma carrière. Il m’avait entendue chanter ce rôle à Liège, à l’époque où il y avait une petite troupe dirigée par Jean-Louis Grinda. Nous étions quatre dans cette troupe ! J’ai fait quatre ou cinq saisons à Liège où j’ai eu neuf petits rôles ; c’était très formateur, je faisais beaucoup de rencontres et j’ai accumulé beaucoup d’expérience. J’ai aimé ce temps de la troupe.
Il faut aussi savoir sortir d’une troupe.
Oui, Jean-Louis Grinda, au fur et à mesure, me donnait des rôles plus conséquents et donc j’ai pu auditionner ici et là et notamment à Toulouse où j’ai fait Gabrielle (La vie parisienne), Despina, Zdenka, Poppée, Lauretta (Gianni Schicchi). Et puis en 2020 il y a eu Così où j’ai abordé Fiordiligi, après je dois le dire beaucoup d’hésitations. C’était pendant la période de la pandémie, que j’ai traversée comme des montagnes russes avec des annulations de dernière minute, difficiles à vivre. Fiordiligi m’a demandé beaucoup d’efforts ; j’ai travaillé avec mon professeur et un coach.
Vous avez toujours vos professeurs de chant ?
Cela fait un certain temps que je ne travaille plus avec un professeur. Il y a un an, suite à la période de pandémie, je me suis questionnée sur la suite de ma carrière. Et j’ai décidé de prendre des cours…pour donner moi-même des cours ! J’ai passé mon agrégation et je vais donner des cours de chant. Cela me passionne et je regrette presque de ne pas l’avoir fait plus tôt.
Alors ce rôle de Leïla.
C’est un rôle que je chante depuis 2013 ; je dois dire que je suis plus à l’aise avec la fin de l’œuvre qu’avec le début, parce qu’on a l’impression que le premier acte est comme écrit pour une autre voix. Il faut donc trouver la voix qui va apporter une unité entre les trois actes. Aujourd’hui je crois que j’y arrive mieux qu’il y a dix ans. J’ai de plus en plus de plaisir à chanter ce rôle. Et puis la mise en scène convient parfaitement à cette œuvre.
Puisque nous avons abordé la question des mises en scène. Comment vous situez-vous par rapport aux mises en scènes transposées. Vous est-il arrivée de vous trouver en désaccord avec des propositions ?
Il est vrai qu’il y a des mises en scène où l’on se sent plus à l’aise que dans d’autres. A Stuttgart, il m’est arrivée de chanter les Dialogues dans une mise en scène « spéciale », c’est-à-dire que l’action était transposée dans un tribunal. Une comédienne représentant la mort intervenait avec sa faux pour faire périr les personnages, ramassés ensuite par des brancardiers. C’était spécial, mais j’ai essayé de trouver mon chemin, mon bonheur dans cette mise en scène et, finalement, cela reste un beau souvenir.
Il y a ce sempiternel débat : « si on ne transposait pas, l’opéra mourrait » versus « l’opéra se meurt parce qu’on transpose ».
Il faudrait que les maisons communiquent sur ce que les spectateurs vont voir ; l’idéal serait qu’on puisse proposer en alternance une version « classique » et une version modernisée des opéras. Parce qu’il y a un vrai public pour les deux types de versions. Mais cela est utopique bien sûr. Je vous avoue que j’ai adoré chanter dans le Carmen transposé de Tcherniakov !
Y a-t-il des rôles qui vous font rêver et d’autres auxquels vous avez renoncé ?
J’aimerais aborder la Louise de Charpentier ; c’est souvent donné à une voix plus pulpeuse et lyrique, mais je l’ai aussi entendue par Ileana Cotrubas et c’était très crédible. J’aime beaucoup cette ambiance. Mais en fait, j’aimerais, maintenant, un peu plus m’amuser ! Alors pourquoi pas revenir vers Despina après Fiordiligi ? Des trois femmes de Così c’est de Despina que je me sens la plus proche. Et même plus de Dorabella que de Fiordiligi ! De même que je me sens plus proche d’Elvira que de Donna Anna. Parce qu’en fait, je suis sensible à la fragilité des personnages. Je l’ai dit, j’ai tendance à m’imprégner totalement des rôles que je chante. Et les rôles plus légers, plus gais, ont tendance à avoir une influence sur mon caractère dans la vie. J’aimerais également refaire Mélisande même si je sais que j’ai moins l’âge du rôle. L’Aiglon aussi, surtout ! Le refaire m’irait parfaitement mais maintenant le faire sur scène. C’est un de mes personnages préférés.
Des rencontres qui ont compté pour vous ?
Oui bien sûr, Nicolas Joël, Jean-Louis Grinda, Jérôme Deschamps. Parmi les chefs je voudrais rendre hommage à Patrick Davin qui nous a quittés il y a trois ans. C’était quelqu’un d’exceptionnel et il a été mon premier chef d’orchestre. Et puis j’ai de belles relations avec Sophie Koch, Karine Deshayes ou Stéphanie d’Oustrac ; j’essaie de m’inspirer d’elles, de leur courage, leur ténacité, leur force, leur passion.
Accompagnée par Yoann Tardivel, Anne-Catherine Gillet chantera une version avec orgue de La Voix Humaine de Francis Poulenc dans une mise en espace de Katharina Stalder le mercredi 11 octobre à 20h, au Temple du Salin à Toulouse (plus d’informations).