En même temps que la bonté, triomphe Marina Viotti sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées dans La Cenerentola jusqu’au 19 octobre. D’Angelina, rôle réputé pour sa virtuosité, la mezzo-soprano se joue avec une facilité déconcertante, comme si aligner les notes à une vitesse vertigineuse était simple promenade de santé, comme si les difficultés n’étaient pas assez nombreuses qu’il faille encore rajouter des trilles et compliquer les cadences. Mais la vélocité n’est rien sans un peu d’expression. Marina Viotti possède la faculté, à laquelle se reconnaît un vrai chanteur rossinien, de donner un sens aux vocalises. Si l’on ajoute à ce portrait déjà avantageux, un timbre d’une étoffe rare, un large éventail de couleurs et une ligne égale dont le tracé n’est jamais appuyé mais au contraire toujours nuancé, on comprend l’ovation qui accueille son rondo final.
Moins compréhensibles nous ont semblé les huées réservées à Damiano Michieletto et son équipe. La mise en scène se contente de raconter l’histoire sans abuser de gags – tentation à laquelle cèdent de trop nombreuses productions dès qu’il s’agit de Rossini. Mieux, elle écoute la partition en veillant à synchroniser geste et musique. Que les ficelles de l’intrigue soient tirées par Alidoro dans une cantine puis dans un loft n’entrave pas la lisibilité du récit. Quelques trouvailles – que l’on ne décrira pas pour ne pas divulgâcher les représentations à venir – nous ont paru du meilleur effet. Les rires dans la salle en témoignent. Non, vraiment pas de quoi s’indigner, surtout en des temps comme les nôtres.
La Cenerentola © Vincent Pontet
Depuis le Belvedere à Amsterdam en 2015, Levy Sekgapane a promené Ramiro dans les plus grands théâtres. A l’égal de sa partenaire, son contraltino se rit des cimes et des multiples pirouettes qu’il lui faut réaliser. Mais le timbre reste pincé et la voix fluette pour un rôle qui veut plus de corps dans le medium.
Autre chanteur familier de ce répertoire, Peter Kálmán détient toutes les clés d’un Don Magnifico affreux, sale et méchant, la maîtrise du chant syllabique n’étant pas la moindre. Est-il alors nécessaire de faire dans la surenchère ? Le recours fréquent au parlato et aux borborygmes n’ajoutent rien à une partition déjà montée sur ressort comique.
Plébiscité pour la puissance de sa voix et sa longueur de souffle, Alexandros Stavrakakis propose un Alidoro exotique débordé par les exigences stylistiques de son air, « Là del ciel nell’arcano profondo », que Rossini a taillé à la dimension d’un opéra seria avec des sons à enfler puis à diminuer et des roulades sur toute la gamme – ce dont se dispense la basse grecque faute de la technique adéquate.
Également hors style, Edward Nelson se débat avec l’écriture de Dandini, inconfortable il est vrai car à cheval entre canto spianato et fiorito, les deux mamelles d’un bel canto étranger à sa vocalité.
Justyna Olow (Tisbe) et Alice Rossi (Clorinda privée de son air – qui n’a pas été composé par Rossini), sont vaniteuses, teigneuses et indissociables conformément à la tradition.
Le choeur – uniquement masculin – apporte un soutien sans faille à des ensembles dont la direction agitée de Thomas Hengelbrock floute les contours et brouille les lignes. Question de goût sans doute mais on avoue ne pas avoir apprécié plus que de raison cette lecture baroqueuse de La Cenerentola, certes rafraîchie, certes assumée par l’Orchestre Balthasar Neumann, mais inconstante, parfois trop lente, souvent trop rapide, comme s’il fallait que la musique de Rossini soit nécessairement endiablée pour faire son effet. C’est oublier l’ambiguïté d’une partition qui juxtapose à l’entrain une tendresse teintée de mélancolie.