En cette ouverture de saison, l’Opéra de Tours a joué la carte de la jeunesse avec cette production du Barbier de Séville servie au pupitre par la cheffe associée Clelia Cafiero, qui nous a enchanté à Orange en juillet dernier, et des chanteurs de l’Académie de la Scala venus faire leurs premières armes en France. Ce sang neuf a constitué sans conteste une exaltante tentation pour s’arrimer aux rives de la cité Tourangelle en ce début d’automne. Et nous n’avons pas été déçue. Avec seulement quatre jours de répétitions, l’Opéra de Tours a offert un spectacle de qualité. Et pourtant les moyens ne sont pas légion en cette vaillante maison d’opéra comme l’a rappelé, en début de spectacle, deux représentantes de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours dans une élocution à destination du public : l’Opéra de Tours, seul opéra de la région Centre-Est, n’est curieusement pas doté d’un orchestre à demeure. Ses musiciens sont des intermittents au statut précaire et ceux-ci sollicitent désormais le statut salarié au sein d’un orchestre permanent.
Après cette introduction, au demeurant fort bien accueillie par un public de fidèles à l’évidence très attaché à son opéra et à ses musiciens, Le Barbier faisant salle comble, le rideau s’est ouvert sur un décor en bord de mer, avec ponton et terrasse en bois et chaises longues. D’apparence classique, la transposition imaginée par la metteuse en scène, Emilie Delbée, dans une station balnéaire des année 30 inspirée du Deauville de Coco Chanel, offre un écrin idéal au propos du Barbier de Séville : un lieu où toutes les classes sociales cohabitent, un espace de liberté ouvrant tous les champs des possibles en faisant fi du carcan des conventions. L’idée est intéressante et méritait un autre décor que ces éléments fixes et immuables de ce bord de mer (il a été toutefois fait au mieux compte du temps imparti et des moyens octroyés). On pourra également regretter les effets faciles ou inutiles, comme ce homard géant qui vient se mêler aux protagonistes en bord de mer ou ce canapé installé en plein milieu de cette plage sans que cela ait une quelconque justification. Mais Emilie Delbée vient du théâtre, et cela se voit dans la remarquable direction d’acteurs qui tire à merveille partie du talent de comédien de certains chanteurs ainsi que des excentricités et des costumes de bain improbables du formidable Bartolo de Franck Leguérinel. L’air de La calumnia est presque un ballet chorégraphié entre un Basilio menaçant et Bartolo apeuré, où la rumeur s’insinue, tel un serpent dansant, pour faire et défaire les réputations et redistribuer ainsi les cartes du destin, en maniant l’art visqueux de la contrevérité. Cette dynamique galvanisante baignée dans les somptueux jeux de lumière de Elliot Ganga (vaste palette pictural allant de l’orange clair au rouge carmin, pour finir sur un clair-obscur particulièrement étudié à la fin du deuxième acte) confère une fraicheur indéniable à cette production qui devient ainsi un écrin idéal pour cette distribution de jeunes chanteurs pleine d’allant. La fluidité de leurs jeux, leur interaction sur scène, et leur complicité évidente avec la fosse d’orchestre, où officiait Clelia Cafiero, ont indéniablement contribué au succès de cette soirée.
© Marie Pétry
Les élèves de l’Académie de la Scala se montrent déjà ici à la hauteur de la tâche qui les attend en professionnels de la scène lyrique. Le Figaro de Sung-Hwan Damien Park à la voix solide et puissante et au timbre soyeux est un feu follet à l’évident talent d’acteur, tant il joue à fond la carte des ressorts comiques de son personnage. Il a une aisance et une assurance déconcertante sur scène et a parfaitement saisi l’italianité de son personnage. S’éloignant du stéréotype de la jeune fille sous tutelle diaboliquement astucieuse et vainement capricieuse, Mara Gaudenzi propose de Rosina le portrait moderne d’une jeune femme libre et déterminée. Il y a dans l’agilité de cette voix souple, aux belles couleurs, une intensité expressive qui dépasse la seule virtuosité vocale qui fait de « Contro un cor che accende amore » un moment de pure émotion. Elle a déjà une dimension professionnelle évidente. Après un « Ecco ridente in cielo » en demi-teinte en ouverture, où sa voix manque de souplesse et d’homogénéité, le ténor Pierluigi d’Aloia s’est repris pour interpréter un Almaviva élégant dans « Se il mio nome saper voi bramate ». Sur le plan dramatique, il sait à merveille habiter les différentes facettes du personnage, de l’histrion se parant de divers travestissements pour se jouer de Bartolo, à l’homme porté par les raisons du cœur. En Bartolo, Franck Léguérinel se délecte des élucubrations de son personnage dans une interprétation débridée. Les moyens vocaux sont quelque peu limités, l’âge aidant, mais son « A un dottor della mia sorte » est sur le plan scénique hilarant à souhait, interprété dans une tenue de bain des plus seyantes. Quant au Basilio de Huanhong Livio Li, même s’il s’abandonne à une certaine théâtralité, dans l’air de la Calomnie, il ne tombe jamais dans les écueils de l’exagération. En revanche, son interprétation manque d’italianità et le chanteur a tendance à trop se réfugier dans le parlando. Le timbre est séduisant mais sans doute peu habitué à se confronter aux exigences de la scène, il n’est pas toujours dans le tempo, obligeant la cheffe à le ramener sans cesse dans la dynamique des ensembles vocaux. La spirituelle Greta Doveri dans le rôle de Berta, au timbre suave et chaud, a enchanté le public avec un abattage et une verve à toute épreuve dans « Il vecchiotto cerca moglie ». Omniprésente sur scène même quand elle ne chante pas (nous gratifiant d’un superbe plongeon dans ce qui est censé être la mer au bout du ponton en arrière-scène), cette Berta rappelle ainsi ironiquement à Rosina qu’elle n’est pas la seule femme de l’histoire…
Notre attention s’est également porté sur la fosse où Clelia Cafiero était au pupitre, poursuivant sur la lancée de cette direction habitée mais sans emphase de Carmen aux Chorégies le 8 juillet dernier. Elle confère ici à sa direction une grande douceur visant à valoriser les voix dans les passages les plus virtuoses des airs. Toutefois, loin de n’être qu’une cheffe d’orchestre lyrique attentive aux chanteurs, elle sait mettre en lumière, dans un style subtil et élégant , toutes les nuances du tissu orchestral rossinien d’inspiration mozartienne, ce qui échappe à bien des chefs qui préfèrent dans Rossini opter pour une cavalcade débridée dans un tempo affolé. Clelia Cafiero prend quant à elle tout son temps, les chanteurs respirent, l’orchestre se fait orfèvre des détails et de la précision. L’ouverture en est, à cet égard, une belle illustration. La cheffe y associe habilement sens de la mesure et expressivité jusque dans chacun des motifs des solos de flûte et de percussion. Elle insuffle une italianità évidente là ou certains interprètes peine à en capter l’âme. Elle vient ainsi à leur soutien en les ramenant par la musique à l’essence même de l’œuvre. Cette lecture, qui met en avant le soyeux et brillance du Barbier de Séville, a littéralement conquis le public.
C’est en effet sous une pluie diluvienne d’applaudissements que s’est achevée la représentation, les spectateurs congratulant toute à la fois la cheffe, les jeunes interprètes, et le travail scénographique. Cet après-midi à Tours s’annonçait agréable, il s’est révélé délicieux, comme un présent de fin d’année dont il nous est fait l’offrande avant l’heure.