Comme chaque année en début de saison depuis sa fondation en 2012, la Compagnie Fortunio présente son nouveau spectacle et pour la troisième année consécutive, après Là-Haut et Gillette de Narbonne, les représentations ont lieu à l’Auguste Théâtre dans le XIe arrondissement. Cette fois la troupe créée par Geoffroy Bertran propose La Botte secrète de Claude Terrasse. Surnommé en son temps « le prince de l’opérette française », ses œuvres qui ont enchanté la Belle Époque, ont connu un énorme succès jusqu’à la fin de la première guerre avant de tomber dans un oubli relatif. Son librettiste Franck-Nohain était l’un des principaux représentants de l’école fantaisiste. Père de l’animateur Jean Nohain et du comédien Claude Dauphin, il est connu des amateurs d’opéra pour avoir signé le livret de L’heure espagnole de Ravel. L’action de La Botte secrète se déroule également dans une boutique mais il s’agit cette fois d’un magasin de chaussures où un prince russe et sont épouse sont à la recherche du propriétaire d’une botte aux dimensions impressionnantes qui a commis un double forfait, botter les fesses du prince en laissant l’empreinte de sa semelle sur son pantalon et flatter au passage la croupe de la princesse qui en est restée tout émoustillée. Le coupable n’est autre qu’un égoutier qui rêve de devenir un homme du monde. L’arrivée d’un séducteur qui poursuit la princesse de ses assiduités provoque une succession de quiproquos burlesques émaillés de jeux de mots volontiers égrillards, jusqu’au dénouement, heureux comme il se doit. La musique vive et alerte se situe tout à fait dans la lignée d’Offenbach, dont Terrasse était considéré comme le digne successeur. Airs, duos, trios, quatuors alternent avec bonheur sans le moindre temps mort pour la plus grande joie du public.
Joël Roessel campe avec conviction et une indéniable présence un marchand de chaussures effaré, dépassé par les événements. Xavier Meyrand est irrésistible en séducteur snob et maniéré qui poursuit de ses avances la princesse Natacha, tandis que Brice Poulot Derache incarne avec une voix chaude et sonore un égoutier rustre et balourd, non dépourvu de charme cependant. Savoureux sont ses couplets « Moi qui suis égoutier », plus savoureux encore son duo sur un rythme de valse avec la princesse qui lui déclare « Sur ta barque légère ô égoutier va donc […] Les égouts de Paris c’est Venise chez soi. » C’est Marina Ruiz qui incarne cette princesse décidée et volontaire qui ne s’en laisse pas conter, servie par une voix ample et claironnante. Le rôle du Prince est dévolu à Geoffroy Bertran qui a également signé la mise en scène et les décors. Son timbre de baryton léger et l’élégance de sa ligne de chant font merveille dans ce rôle de monarque outragé qui ne soupçonne pas ce qui se trame autour de lui, tout occupé qu’il est à trouver le coupable du coup de pied fatidique. Le magasin de chaussures qu’il a imaginé est à la fois sobre et de bon goût, quant à sa direction d’acteurs, astucieuse et inventive, elle participe largement au succès du spectacle. Au piano, Romain Vaille propose un accompagnement fluide et contrasté. Dès l’ouverture, à rideau fermé on est conquis par son toucher raffiné et son jeu délicat et précis qui compense largement l’absence d’orchestre.