L’Opéra d’Etat de Prague concentre davantage sa programmation, comme nous le disions, autour du répertoire allemand, notamment romantique et post-romantique : Schreker prochainement et une nouvelle production de Der fliegende Holländer dont la première avait lieu ce dimanche 20 février.
Pour l’occasion, l’institution a fait appel à une distribution internationale. Emmenée par le Hollandais mordant de Joachim Goltz, elle tient son rang. Le baryton allemand possède un timbre clair comparé aux barytons-basses que l’on distribue régulièrement dans le rôle. Combiné à un volume et une projection musclées, son marin damné a fière allure malgré la robe bustier en lambeau dont la mise en scène l’affuble, sous son anorak noir de pêcheur. Chose rare chez Wagner, la salle l’applaudit chaleureusement après son long monologue d’entrée, conclu par une note tenue sur presque toute la coda orchestrale. Elisabeth Teige s’appuie sur un médium rond et chaud pour donner corps à la candide Senta. L’aigu résiste aux assauts et aux écarts du rôle. Elle allège la ligne dès que possible et construit scène après scène un personnage sensible. Zdenek Plech propose un Daland tout en bonhommie, au volume gargantuesque. On regrette sa diction allemande mâchonnée qui dessert ses qualités interprétatives. Ales Briscein, que l’on ne voit guère plus sur nos scènes, vient à bout du rôle d’Erik grâce à un phrasé, un legato et un souffle sans faille, consubstantiels à la noblesse d’âme du pauvre chasseur. Las, la voix du ténor vedette tchèque a perdu en harmonique et, à froid, concède quelques faussetés. Matthew Swensen manque encore d’un peu de volume pour faire jeu égal avec les wagnériens chevronnés qui l’entourent. Son Timonier n’en reste pas moins élégant grâce à un joli phrasé et un timbre lumineux.
Il faut dire que l’orchestre ne ménage pas ses coups. Karl-Heinz Steffens ne se soucie guère des équilibres entre la scène et le plateau, voire de manière encore plus dommageable entre ses pupitres. Notre placement sur les côtés du parterre en aura peut-être renforcé l’effet mais les violons sont noyés sous des cuivres beaucoup trop forts, peu précis et enchaînant les pains. Le tout est mené tambour battant (2h15 sans entracte : tout le monde est à l’heure au travail le lundi matin). Dans ce mouvement parfois désordonné, les chœurs on du mal à suivre, d’autant qu’ils doivent lutter contre une infernale tournette qui semble ne jamais vouloir s’arrêter de nous étourdir et rend la communication avec le chef encore plus difficile.
© Zdeněk Sokol
La nouvelle mise en scène d’Ole Anders Tandberg opère donc une synthèse entre les idées et les machineries vues dans l’œuvre de Wagner depuis un demi-siècle. On croit assister au rêve de Senta (elle lit son livre quand le rideau se lève) ; il n’en sera rien. Une image animée de mer agitée en HD passe en boucle pendant la dizaine de minutes de l’ouverture (c’est long). Là encore, on a déjà vu cela à de nombreuses reprises depuis que les draps de la Bastille sont passés de mode. Une tournette inclinée compose le décor unique : dans ces bas-fonds des enfers sortent les marins damnés. Sur le plateau, des lits d’hôpital de guerre — dont la simple vue provoque une allergie (puis éternuer dans son FFP2 vous vaut les regards noirs de vos voisins dans ces heures pandémiques) tant on a déjà rencontré ce mobilier dans tous les livrets possibles — se verront occupés tour à tour par les marins et les fileuses. L’esthétique choisie représente l’originalité de la proposition : est-on dans Les Noces funèbres de Tim Burton ? Les marins damnés portent la même robe bustier, comme constituée d’algues beiges, ce qui laisse croire que l’équipage du vaisseau maudit sera en fait constitué des épouses damnées du Hollandais. Quoi qu’il en soit Åsa Frankenberg a le champs libre pour travailler des lumières saisissantes qui plongent le plateau dans une ambiance de port embrumé du plus bel effet.