Eccolo quà! Le voici, l’ouvrage en français sur Rossini longtemps appelé de nos vœux, le compositeur italien ne disposant à ce jour d’aucune étude de fond dans notre langue – « un comble quand on sait qu’il a vécu en France et qu’il y est mort », s’étonne l’éditeur. Etude monographique ou biographique ? Telle est la question.
Biographique assurément par la manière dont est retracé au jour le jour – ou presque – la vie de Rossini, rocambolesque dès sa naissance, en 1792 à Pesaro, ville portuaire entre monte e mare dans la région des Marches. Les douleurs de l’accouchement s’éternisant, son père aurait brisé dans un accès de rage les statuettes de plâtre que la tradition plaçait autour de la parturiente. La naissance de l’enfant interrompit la profanation. San Giacomo, le seul saint épargné, valut au nouveau-né le prénom de Gioachino. Se non è vero, è ben trovato.
La suite est connue dans les grandes lignes : les années de formation à Bologne ; les premiers succès vénitiens ; dans la continuité de Tancredi en 1813, la transformation de l’opéra seria entreprise depuis Naples ; la conquête de l’Europe, l’installation à Paris, la rossinimania puis après le triomphe de Guillaume Tell en 1829, l’inexplicable silence interrompu sporadiquement par le Stabat Mater, la Petite Messe solennelle et les quelque cent cinquante pièces de salon que Rossini dénommera avec ironie Péchés de vieillesse.
Historien de formation, Grégoire Ayala complète ce canevas jusqu’alors sommaire – du moins en langue française – en s’appuyant sur les différentes sources à sa disposition : écrits antérieurs mais aussi lettres, témoignages, extraits de journaux… L’homme autant que sa vie transparaît à travers un propos qui s’attache à pourfendre la légende et traquer les idées reçues. Non, Rossini n’est pas le futile amuseur portraituré par la tradition mais une personnalité autrement complexe, dont les tendances neurasthéniques peuvent expliquer le retrait prématuré de la vie musicale. On le savait ; Grégoire Ayala l’explique, surmontant « l’imperméable silence » derrière lequel Rossini s’est retranché « comme un rempart aux débordements d’une célébrité immense mais importune ».
Le rifiuto du musicien après le triomphe de Guillaume Tell, cette décision inexpliquée d’abandonner la composition en pleine gloire, fait l’objet d’une analyse enfin développée et argumentée, tout comme avant, après, chaque épisode, replacé dans son contexte historique, est justement interprété. Souvent négligées car moins prolifiques, les dernières années bénéficient d’un nouvel éclairage. Rossini, désormais marié à Olympe Pélissier, couvert d’honneurs, vit à Paris, entre son appartement de la Chaussée d’Antin où il tient un salon fréquenté par le gotha intellectuel parisien, et sa villa de Passy, au terrain choisi pour sa forme de piano à queue. C’est dans cette dernière demeure, aujourd’hui détruite et remplacée par un immeuble à l’architecture médiocre qu’il pousse le dernier soupir.
Passés l’émotion, les hommages, le rapatriement du corps dans le panthéon italien qu’est l’église de Santa Croce à Florence, reste l’œuvre, immense, que Grégoire Ayala s’attache au fil du récit à commenter dans son intégralité, sans toutefois la mettre en perspective et faire preuve de la même puissance d’analyse. Historien et non musicologue, l’auteur prévient : « le lecteur ne trouvera dans cet ouvrage aucune donnée propre à la science musicale, ni à la lecture morphologique des œuvres de Rossini » avant d’ajouter que le livre traitant de son influence historique reste à écrire. Si le Pésarais dispose désormais d’un ouvrage biographique en français de référence, le sujet est loin d’être épuisé. A défaut, on continuera de se référer chez le même éditeur – Premières Loges – au Rossini Mode d’emploi où Chantal Cazaux décrypte l’art de celui que l’on surnommait « le cygne de Pesaro » en raison de la noblesse de ses compositions.