Pouvez-vous citer cinq noms de compositeurs ? Facile. Et cinq noms de compositrices ? La question posée en début de concert par Héloïse Luzzati interpelle. Elles Women Composers, l’association que la violoncelliste a fondée en 2020, veut rendre la réponse plus évidente. Comment ? En aidant à l’identification de ces femmes versées au même titre que les hommes dans l’art de la composition musicale, ainsi qu’à la diffusion de leurs œuvres. Mission de longue haleine, mais non impossible, à laquelle participe cette saison un partenariat avec la BnF et Radio France.
Un concert en donnait le coup d’envoi ce lundi dans la Salle Ovale, rue de Richelieu. Compositrice à l’honneur : Hedwige Chrétien. Nul ne pourra désormais ignorer cette musicienne, née à Compiègne en 1859, morte à Neuilly-sur-Seine en 1944, élève du Conservatoire de Paris qu’elle intègre en 1874 avant d’en devenir professeure, à l’issue de quinze années d’études jalonnées de distinctions dont un premier prix d’harmonie en 1881, puis de contrepoint et fugue en 1887 – elle fut la première femme à recevoir une telle récompense. Des quelques deux cent partitions qu’elle a composées dans tous les genres – musique de chambre, ballet, opéra-comique… –, la postérité n’en a retenu aucune. Injustement comme en apportent pour preuve la poignée de mélodies au programme et surtout le lyrisme inspiré du Trio en ut mineur, pour violon, violoncelle et piano qui sommeillait dans les collections de la Bnf et dont l’ensemble formé par Renaud Capuçon, Xavier Phillips et Guillaume Bellon exaltent climats et climax.
© Fabrice Gaboriau / BNF
« Madame Chrétien n’est pas « nouvelle école » et nous l’en félicitons », écrivait à son sujet le fondateur de la librairie La Procure, l’abbé Henri Delépine, « Sagement moderne dans ses idées et dans ses harmonies, elle reste disciple fidèle de nos grands maîtres classiques. Distinction de style, clarté d’écriture, pureté et richesse d’harmonie, charme mélodique joint à une expression religieuse très noble, tels sont à notre avis les titres qui méritent à ses pièces une place d’honneur parmi les œuvres de ce genre publiées au cours de ces vingt dernières années. ». A l’écoute de Pour ceux qui aiment ou encore La Prière, deux des mélodies confiées à la voix d’Adèle Charvet, on ne saurait mieux dire. Tout juste peut-on compléter l’appréciation en relevant l’intelligence de l’écriture vocale et en opposant à la constatation d’un certain académisme, la prudence imposée hier – et aujourd’hui ? – par la difficulté pour une compositrice de s’imposer dans un univers à prédominance masculine – la remarque s’applique à bon nombre de ses consœurs ; « Elle a tant voulu conquérir son temps qu’elle ne l’a pas dépassé. », constate Hélène Cao à propos d’Augusta Holmes*.
La mise en regard des compositions d’Hedwige Chrétien avec celles de Claude Debussy et de Mel Bonis ne joue pas en la défaveur de cette dernière. Le mezzo-soprano d’Adèle Charvet nous semble avoir gagné en rondeur et en égalité sur une longueur appréciable. Un effort de diction servirait mieux encore ces quelques pages également désavantagées par l’acoustique diffuse de la salle. Mais l’osmose entre les quatre interprètes selon les différentes configurations requises participe à ce qui, à l’épreuve du concert, s’apparente à une révélation. A quand un enregistrement ?
Prochain « Portraits de compositrices » : Elisabeth Jacquet de La Guerre (1665-1729) et Antonia Bembo (1643-1715), le mardi 21 novembre au Pavillon de l’Arsenal (plus d’informations).
* Hélène Cao, Augusta Holmes, La nouvelle Orphée (Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2023)