Dans la grisaille d’un dimanche de novembre, l’Opéra de Rennes – en coproduction une nouvelle fois avec son partenaire nantais – nous plonge, avec Béatrice et Benedict, sous le soleil d’une fantaisie shakespearienne qui convoque la lumière de Sicile et le « bling-bling » de la mafia des années 1980.
L’épanadiplose musicale voulue par Berlioz avec la reprise du motif initial à la fin de l’œuvre a sans doute servi de point de départ à Pierre-Emmanuel Rousseau qui en reprend l’idée en nous donnant à voir un mariage en décalé : nous assistons d’abord à la soirée d’un premier couple avant de plonger dans les préparatifs et la cérémonie d’épousailles de nos héros.
Visuellement, l’évocation des années 1980, en particulier pour ce qui est des costumes, n’est pas aussi réussie que dans les précédents opus du metteur en scène. Lui qui réalise également costumes et scénographie, affectionne le passé récent dans des évocations vintage pleines de charme. Ici, avec un style Memphis et des « color blocks » architecturés éminemment visuels, les choix de couleurs jouent plus le choc que l’harmonie donnant une certaine trivialité à l’ensemble.
Ceci dit, l’action se déroulant chez les mafiosi siciliens, l’ostentation et le mauvais goût assumé de l’honneur des Prizzi ou de House of Gucci peut s’afficher sans incohérence.
Les tenues de Béatrice notamment sont une citation directe de celles d’Anjelica Huston dans le film de son père John, où l’intrigue, précisément, se noue lors d’un mariage.
La scénographie, pour sa part, nous installe fort agréablement dans une noce de plein-air, sous les guirlandes lumineuses d’un bord de mer. Là, Hero et Claudio vont pouvoir s’unir tout en conspirant pour réunir les ennemis jurés que sont Benedict et Béatrice. Entre madison et livraison de cocaïne, tout cela fonctionne parfaitement dans un rythme et une joie communicatifs.
Les femmes dominent la distribution, à la fois dans le duo du premier acte et dans le trio du second qui disent avec une grâce infinie l’épanouissement de l’amour. Ils sont portés par la voix suave d’Olivia Doray – en difficulté dans un air d’entrée à la justesse discutable mais qui trouve ensuite lumière et agilité pour incarner le personnage de Héro. La soprano est soutenue par la sérénité royale de l’Ursule de Marie Lenormand qui assume avec panache les oripeaux d’une Régine des grands soirs. Marie-Adeline Henry, quant à elle, fait éclater la magnifique projection de son timbre charnu sur l’ensemble de l’ambitus pour camper une Béatrice femme de tête.
Face à elle, le Bénédict de Philippe Talbot porte beau même si la voix mériterait plus de largeur et d’impact mais cette fragilité est compensée par une excellente diction – surtout pour la projection des consonnes.
C’est le Claudio de Marc Scoffoni que l’on aurait plus aimé entendre car cette très belle voix se trouve ici cantonnée à quelques modestes interventions. Il les assume parfaitement tout comme ses deux comparses, Lionel Lhote et Frédéric Caton, tous deux impeccables.
Le Chœur d’Angers-Nantes Opera est lui, mis à contribution à de nombreuses reprises et nous régale de fantaisie, de nuances. Comme toujours, Pierre-Emmanuel Rousseau, merveilleux directeur d’acteur, individualise chaque silhouette et projette une vie singulière dans cette comédie tandis que les dialogues, modernisés, apportent un naturel supplémentaire à l’intrigue.
Le travail de couleurs de l’ensemble de la partition est merveilleusement rendu sous la baguette aussi dansante que volubile de Sascha Goetzel qui drape de nuances subtiles les surprises mélodiques du compositeur et joue des complexités harmoniques avec le même pétillant dont il polirait à une opérette viennoise.
Le chef d’orchestre autrichien est, depuis l’an passé, directeur musical de l’Orchestre National des Pays de Loire mais dirige des productions lyriques dans l’ouest depuis plus de dix ans, avec un Enlèvement au Sérail ou encore un Rigoletto de belles factures où déjà s’exprimait cette fine sensibilité qui fait mouche une fois encore.
Il prend ici la tête de l’Orchestre National de Bretagne, pour qui cette représentation est véritablement une Première, alors que le reste de la distribution a déjà remporté un grand succès à Nantes le mois dernier.
Les vents sont merveilleux de délicatesse, les cordes sensibles, intelligentes et l’instrumentarium « exotique », relevant de l’univers populaire italien, parfaitement utilisé. Plutôt que d’imposer des tempi forcés et des fortissimo récurrents, le chef aquarelle sa palette – dès la magnifique ouverture et tout au long de la soirée – de nuances diaprées, raffinées, de suspensions pleines d’émotion. Il évite habilement le genre pompier, au profit d’un impressionnisme avant l’heure.
Comme le souligne Matthieu Rietzler, directeur de l’institution, c’est la toute première fois qu’un opéra de Berlioz résonne sous les ors de la maison rennaise, qui ne pourrait accueillir les autres créations lyriques du compositeur, une raison supplémentaire de venir y applaudir le spectacle jusqu’au 18 novembre avant une séance angevine le 3 décembre prochain.