Clap de fin pour l’odyssée Gesualdo des Arts florissants. Commencée en des temps anté-pandémiques, elle s’achève ce soir à la Cité de la Musique avec le 6e livre des Madrigaux, avec quasiment la même équipe qu’au départ.
On sait beaucoup de choses sur Gesualdo : qu’il était de nature difficile, et qu’il a tué sa femme et qu’il aimait la flagellation. On sait maintenant aussi que ce n’est pas ce qui importe le plus dans sa musique, contrairement à son statut de prince, sa richesse qui fait de lui un compositeur autonome financièrement et son lien de parenté avec Charles Borromée (Paul Agnew nous le rappelait dans une interview).
Mais au-delà de la légende, et malgré les modérations biographiques que l’on tente d’y apporter, sa musique reste fascinante, et pour cause. Attiré par les extrêmes, elle cultive l’oxymore en permanence. En quatre minutes, un madrigal du 5e ou 6e livre, au texte pourtant épigrammatique est traversé d’une quantité d’émotions à peine soutenable pour l’auditeur. En lecteur sensible, Gesualdo profite de chaque substantif, de chaque idée nouvelle d’un texte pour créer un contraste saisissant.
On savoure bien sûr les chromatismes vertigineux de « Mille volte il dì moro » ou du tubissime « Moro, lasso, al mio duolo », mais ils ne doivent pas éclipser des pages plus espiègles (« Ardita zanzaretta », « Volan quasi farfalle ») ou ouvertement optimistes (« Quando ridente, e bella »). Et s’il est bien question de contrastes, ceux-ci n’empêchent guère une maîtrise certaine du développement, comme en témoignent les belles progressions de « Beltà, poiché t’assenti » ou de « Quel nò crudel ». On situe la naissance de l’opéra davantage dans le clan Monteverdi. C’est exact, mais ces madrigaux sont d’une telle force dramatique, qu’ils passeraient presque pour de petits drames de poche.
Le Gesualdo tardif est exigeant pour ses solistes. Le foisonnement chromatique et enharmonique pose de réelles difficultés d’intonation, et la solide heure de musique que représente le 6e livre n’est pas à la portée du premier chanteur venu. L’interprétation des Arts florissants brille avant tout par son engagement musical. Ne cherchant pas à lisser les contours d’une musique qui s’en défendrait si elle en avait l’occasion, Paul Agnew recherche avant tout l’aspérité et le contraste, quitte à devoir abandonner le terrain confortable du beau chant. On y perd peut-être un peu en précision d’intonation, mais on y gagne certainement en intensité et en détermination. On salue donc tout particulièrement l’engagement des solistes de ce soir, qui concluent cette intégrale sur une prestation investie.