A côté des 1001 opéras de Piotr Kaminski, chez Fayard, dont les vingt ans n’ont pas altéré la pertinence, puis de ses 101 Grands opéras (Pluriel), surprenante coïncidence, deux ouvrages relatifs à l’opéra paraissent simultanément, dont l’analyse se fonde sur une cinquantaine de livrets. Là s’arrête la comparaison car les champs diffèrent, celui que signe Julien Bouvet embrassant quatre siècles d’histoire, alors que celui de Thierry Santurenne (1) focalise son attention sur le XXe et notre début de XXIe siècles. L’ambition et la méthode donnent à chacun son originalité. Malgré son titre, ce n’est pas une encyclopédie (2), ce qui n’altère en aucune manière son intérêt, incontestable.
L’auteur a retenu cinquante œuvres lyriques, ordonnées chronologiquement, pour en permettre une lecture cursive qui constitue une sorte d’histoire du genre. L’originalité de cette publication réside dans son approche (3). En effet, l’opéra, « chêne de quatre siècles sous l’écorce duquel chaque œuvre forme un nouveau cerne où se lit un contexte historique, politique, économique et social […] il raconte une histoire singulière de l’Europe, témoigne des gouvernements princiers, puis de la bourgeoisie et de l’édification des Etats-nations, de l’histoire politique et sociale et des tensions géopolitiques ». L’ambition affichée de l’auteur est donc de lire l’histoire, dont celle des idées, à travers l’évolution du genre, tant par les livrets que par leur inscription dans leur temps.
Exercice délicat que de sélectionner cinquante ouvrages lyriques représentatifs de toute la production depuis plus de quatre siècles, permettant d’enrichir le regard sur toutes les thématiques abordées par les livrets. Ainsi la liste serait longue des chefs-d’œuvre délibérément écartés. C’est pourquoi nous en recommandons la lecture à un public qui trouvera par ailleurs les résumés des livrets, au travers des dictionnaires spécialisés.
De L’Orfeo, à l’Amour de loin et au Soulier de satin, chaque notice s‘ouvre sur un résumé du livret. Leur concision est extrême, n’excédant pas une dizaine de lignes (4). La biographie succincte du compositeur et les circonstances de création sont exposées. Suivent les sources de l’ouvrage, le contexte de son écriture, ses thèmes littéraires, avec, toujours, l’inscription de l’œuvre dans l’histoire, tant lyrique que générale. C’est là que réside le principal intérêt de la démarche : les parallèles, les renvois, les approches thématiques stimulent le lecteur curieux.
Les thèmes abordés, transversaux, sont partagés entre les notices (ex. : la folie, la forêt, le diable, l’opéra biblique…). Les itinéraires du lecteur peuvent être variés, comme les fils conducteurs, à partir d’une époque, d’un ouvrage, d’un sujet. Les « références » faisant suite à chacune des notices surprennent. Sans doute références de l’auteur, elles ne constituent en aucun cas une bibliographie, encore moins une invitation à approfondir la connaissance, ignorant le plus souvent les ouvrages sérieux et accessibles, alors que des intrus s’y glissent (par exemple, le petit Que sais-je de Hodeir – les formes de la musique –, de 1951, à propos de Rossini). D’autre part, on peut déplorer, ponctuellement, la reproduction imprudente de lieux communs, de jugements datés, parfois infondés (Massenet « distingué pour avoir beaucoup concédé à la facilité et à la mièvrerie »).
Une table des opéras cités, plus de 500, figure dans les annexes. Un index thématique, indispensable compte tenu de la démarche, riche de nombreuses entrées, complète l’ouvrage. La bibliographie (huit « ouvrages généraux »), indigente, oublie l’essentiel des références, des collections (ainsi la somme que constituent les numéros de L’Avant-Scène Opéra) que tout curieux doit connaître, au profit de publications diverses. Les sites sont passés sous silence, que leur objet soit la diffusion (ainsi Operavision) ou la documentation et la critique (tel Forumopera).
Le musicien, ou curieux de musique, reste ainsi quelque peu sur sa faim : ni analyse dramatique digne de ce nom, encore moins musicale. Alors que ce type de publication devrait constituer une invitation à découvrir l’opéra, à y assister, à en partager l’émotion et la beauté, on reste à la surface. De la même manière, les interprètes, dont, historiquement, le rôle ne se limite pas au chant, à l’instrument ou à la direction, sont cités de façon anecdotique. Rien sur les tessitures, les classifications, les emplois. L’intitulé « encyclopédie », même « petite » est-il justifié ? Le livre appelle une nouvelle édition, approfondie, refondue pour mériter pleinement son intitulé. La richesse et la pertinence de la démarche appellent une refonte.
(1) Thierry SANTURENNE, Orphée aux enfers libéraux – L’art lyrique pour entendre le monde contemporain, Paris, Fayard, 2023. Lien https://www.forumopera.com/cd-dvd-livre/orphee-aux-enfers-liberaux-thierry-santurenne/ (2) Rappel : Une encyclopédie se définit comme un ouvrage où sont exposées, de façon méthodique, l’ensemble des connaissances d’un domaine. (3) Encore que le Guide raisonné et déraisonnable de l’opérette, de Louis Oster et Jean Vermeil (Fayard, 2008) ouvrait la voie, pour ce qui relève de la méthode, avec des résumés de l’action beaucoup plus fouillés. (4) La Tétralogie, et chaque journée, y échappent !