Assister aux concerts de la bibliothèque La Grange-Fleuret n’est jamais anodin. Intimement liés au centre de recherches musicales, ils nous réservent toujours de belles découvertes. Ce fut le cas lors du récital du 22 novembre réalisé en association avec la fondation Royaumont, lors duquel la découverte d’un extraordinaire compositeur viennois tombé dans l’oubli, Oskar Posa (1873-1951), a bouleversé l’auditoire. On la doit au jeune producteur Olivier Lalane, passionné par la vie musicale à Vienne à l’époque du fameux courant artistique de la Sécession (Fin XIXe-début XXe siècle). Intrigué un jour par l’affiche d’un concert daté du 25 janvier 1905 dans la grande salle du Musikverein de Vienne, il découvre, entre Zemlinsky et Schönberg le nom d’un compositeur de Lieder pour baryton et orchestre totalement inconnu. Ces trois compositeurs venaient de fonder l’historique Association des Compositeurs Viennois (Vereinigung Schaffender Tonkünstler) qui allait créer, trois jours plus tard, deux célèbres cycles de Lieder de Mahler. En prélude au concert parisien, Olivier Lalanne a raconté au public ses quatre années d’investigation à Vienne et dans d’autres bibliothèques européennes. A son grand étonnement, Oskar Posa, qui n’apparaît aujourd’hui dans aucun dictionnaire de musique, avait connu de son vivant une notoriété inouïe en Europe et aux États-Unis. Lors du déchiffrage des partitions retrouvées, par la pianiste Juliette Journaux, c’est le choc : ce sont de grands chefs d’œuvres. Olivier Lalane contacte alors le baryton Edwin Fardini qui l’avait impressionné par son interprétation de Lieder de Mahler. Lors du concert du 22 novembre, l’effet de surprise est considérable à l’écoute des Lieder sélectionnés. L’auditoire est immédiatement captivé par la puissance de cette musique et cela pendant une heure de profond recueillement avant l’ovation finale. Dès le premier Lied, la richesse de l’écriture pianistique, ses contrechants qui s’épanouissent dans la ligne vocale, l’importance donnée aux préludes et, plus encore aux postludes, nous font entrer dans un univers passionnant où, dans cette musique si personnelle quelques fulgurances liées à l’époque nous servent parfois de repère : certains traits qui nous évoquent Mahler, un rythme soudain, comme échappé de La Belle Maguelonne de Brahms dans Heimkehr (Retour à la maison), ou tel autre qui nous fait songer au Feuerreiter (le Cavalier de feu) de Wolf. Mais c’est avant tout une musique totalement nouvelle qui nous éblouit. L’émotion est forte à l’écoute de Ende (Fin) du beau cycle de poèmes de Ricarda Huch (poétesse peu connue chez nous) et des Soldatenlieder avec un sublime In Erinnerung (In memoriam). Et quels interprètes ! Le baryton Edwin Fardini, à la voix belle et puissante, nous avait déjà enthousiasmé dans son interprétation de Wagner. Ici c’est un grand chanteur de Lieder qui impressionne. Il sait lier le dramatisme opératique à une intériorité et une intimité, propres au genre, par d’émouvants pianissimi portés jusqu’au murmure. Rien n’est feint dans sa manière de capter l’auditoire en partageant, avec tant de nuances, l’émotion engendrée par ces poèmes, chantés dans un allemand impeccable.
Au piano, Juliette Journaux avait, elle aussi, impressionné lors de son récent enregistrement de transcriptions d’œuvres de Mahler, Wagner et Schubert dans l’album Wanderer without words. On comprend que Brigitte Engerer ait été sa marraine artistique ! C’est la même sonorité puissante et profonde alliée à une soudaine agilité aérienne qu’elle déploie lors du concert où le piano est roi (on disait que Posa composait ses Lieder pour le piano !). Elle partage avec Edwin Fardini cette même passion pour la musique viennoise à l’époque où la Sécession voulait encore croire à la beauté du monde. L’album du label d’Olivier Lalane « Voilà records » consacré à Oskar Posa par ces deux grands interprètes sortira en mars. A écouter d’urgence, en ces temps si troublés,