Tutta la vita è un mar (Toute la vie est une mer) pourrait être le titre de ce concert de Philippe Jarousky, tel que le chante le personnage de L’Olimpiade d’Andrea Bernasconi (1706-1784) en ajoutant « nous sommes des navires sur un océan glacial ». Il s’agit d’un de ces nombreux arias du XVIIIe siècle sur des textes de Métastase, oubliés jusqu’à ce jour, que Philippe Jaroussky nous fait découvrir. En ouverture, l’orchestre du Concert de la Loge menés par l’archet impétueux de Julien Chauvin, soulève les tempêtes avec une virtuosité hors du commun. Philippe Jaroussky est à l’unisson dans ces extraits de l’opéra Demofoonte de Johann Adolf Hasse, un des grands compositeurs de la soirée, dont on comprend mieux l’adulation qu’il connut en son temps.
Durant la soirée, les mers sont déchaînées, les vaisseaux esquivent les rochers, les Dieux sont implorés, claires allégories des vicissitudes de la vie, des passions exacerbées ou assassines et des vengeances cruelles. Le contre-ténor est au sommet de son art : technique à toute épreuve, tenue de souffle impérieuse et timbre riche en couleurs multiples. Sans omettre l’essentiel : la profonde humanité qui se dégage de son chant, l’empathie immédiate avec le public. Rien n’est feint dans son expressions des passions baroques. Au-delà de la maestria, son lyrisme exprime simplement ce que nous ressentons tous sur le chemin de la vie. Comme sa présence en scène, il vient du plus profond de lui-même et c’est ce mystère essentiel qui émeut le public.
Après Hasse, l’orchestre exprime avec les mêmes rythmes implacables, traversés de soudains lamenti pianissimi, la tragédie de Catone du napolitain Leonardo Leo, autre sublime découverte. Dans la deuxième partie Jaroussky est bouleversant dans l’aria « Gelido in ogni vena » de Giovanni Battista Ferrandine (1709-1791), compositeur aimé de Mozart, qui exprime la souffrance d’un père face à la mort de son fils. Dans l’air final de Niccolò Jommelli, le contre-ténor fait feu de tout bois, entre alarmes et espoirs, et ses envolées flamboyantes sont un bel hommage à la vie. En bis, après la lamentation d’Orphée de Gluck il gratifie le public de son aria favori, le « Vedro con mio diletto » de l’opéra Il Giustino de Vivaldi. Comme dit un spectateur après l’ovation finale, dans le TCE plein à craquer, « voilà une soirée qui fait du bien en ces temps de violences et de guerres. Elle nous fait croire encore en nous-mêmes et en notre culture ».