Mon pire souvenir dans une salle d’opéra ?
Mon pire souvenir qui s’est heureusement soldé par une expérience magique : je faisais mes débuts à l’opéra de Munich et en alternance, il y avait des représentations de Così fan tutte. 21h, soir de repos, je finissais une séance de sport particulièrement éprouvante lorsque je reçois un appel de l’opéra : c’était l’entracte et leur Dorabella venait de faire un malaise… Je n’ai jamais couru aussi vite pour rentrer prendre une douche, préparer mes affaires, avaler un minimum d’énergie pendant qu’un taxi m’attendait déjà devant mon appartement! J’ai dû me chauffer la voix en me maquillant dans le taxi, mémorable !
Le chanteur du passé avec lequel j’aurais aimé me produire.
J’ai eu la chance d’avoir rencontré Ileana Cotrubas qui m’a encouragée dans ce métier. Elle reste ma bonne étoile, c’est l’une des dernières légendes de l’âge d’or de l’opéra. J’aurais rêvé d’être sur scène avec elle, c’est une chanteuse, une interprète, une musicienne exceptionnelle.
La ville où je me sens chez moi ?
J’ai rapidement appris à me créer de nouvelles habitudes en voyage lorsque je travaille à l’étranger, de créer aussi de nouvelles rencontres que j’ai plaisir à retrouver même si évidemment rien ne remplacera mon chez-moi auprès de mes proches.
Ce qui, dans mon pays, me rend le plus fier ?
Même s’il est malmené, je reste fière du statut d’intermittente du spectacle. Lorsque je discute de ce statut unique en Europe (voire au monde ?) avec des collègues étrangers, c’est toujours une piqûre de rappel qui me remémore que je suis fière de payer mes impôts dans mon pays et de pouvoir profiter de ce statut précieux qu’il faut continuer de protéger.
Le metteur-en-scène dont je me sens le plus proche ?
J’ai vécu une très belle expérience avec Guillaume Gallienne à l’Opéra de Paris. Nous nous sommes rapidement compris et la confiance s’en est suivie naturellement. C’est ce genre de connexion où en un regard, je comprenais ce qu’il me demandait, ce qu’il lui manquait ! C’est non seulement un excellent metteur en scène mais son talent d’acteur nous nourrit forcément, cet homme transpire le théâtre et le porte dans ses tripes. On est forcément touché lorsqu’il nous dirige sur scène !
Le chef ou la cheffe qui m’a le plus appris ?
Tous, à leur manière, m’ont aidé à grandir, même ceux avec lesquels je n’avais pas forcément d’atomes crochus. Je me plais souvent à dire que je vois mon métier un peu comme une thérapie, une introspection permanente, une ouverture à l’autre qui demande avant tout une connaissance et un respect de soi.
À part chanter, ce que j’ai dû faire de plus compliqué sur scène ?
Lors du Festival de Bregenz, avec son incroyable scène flottante sur le lac de Bregenz (7000 spectateurs tous les soirs), pendant la scène finale de Carmen, Carmen finissait noyée par Don José dans le lac… Pour cela, j’avais une combinaison de néoprène sous ma robe (eau à 10 degrés le soir!) avec une bouteille d’oxygène collée à ma cuisse ! On a dû répéter de nombreuses semaines cette scène avec Don José car en une fraction de seconde, je devais chuter dans l’eau et attraper (pendant que j’étais sous l’eau !) le câble de la bouteille d’oxygène autour de ma cuisse et respirer par l’embouchure puis flotter pendant les longues dernières minutes de l’opéra. L’effet était bluffant mais c’était très technique.
Si je pouvais apprendre un instrument du jour au lendemain, lequel serait-il ?
Le violoncelle. On dit que c’est l’instrument qui se rapproche le plus de la voix. J’aime le timbre de cet instrument qui m’inspire énormément.
Un opéra dont j’aurais voulu être le créateur du rôle-titre ?
Médée de Cherubini. C’est un rôle qui m’obsède, telle une énigme irrésolue, un mystère effrayant : comment chanter ce rôle si énorme et dévorant ? Et d’où vient ce magnétisme qu’il produit sur moi ?
Le chanteur du passé dont l’écoute m’a le plus appris ?
J’ai une admiration sans pareille pour Lorraine Hunt-Lieberson. Cela reste pour moi un exemple de délicatesse, de finesse artistique, d’élégance mêlée à une humilité qui me bouleversent.
Le chanteur du présent que je trouve d’une générosité rare ?
Marie-Nicole Lemieux fait partie de ces artistes qui me touchent particulièrement, elle donne et se donne sur scène, avec une simplicité bouleversante et en même temps une exubérance touchante qui font d’elle une artiste à la fois que l’on admire et dont on se sent proche.
Si j’étais un personnage de Disney ?
Je dirais Alice (Alice aux pays des merveilles) pour sa capacité à s’évader dans son imaginaire sans limite !
Mon plus grand moment d’embarras ?
C’était (seulement) lors d’une générale. Mon personnage était au bord du suicide, un révolver à la main. Mon monologue se terminait avec le révolver sur la tempe et mon collègue devait surgir, m’interrompant in extremis dans ce geste désespoir, sauf qu’il n’a pas entendu son appel en loge. Je me suis donc retrouvée à improviser pendant de très longues minutes de silence. Il est arrivé en catastrophe sur scène ce qui a fort heureusement rendu la scène très crédible !
Le compositeur auquel j’ai envie de dire “mon cher, ta musique n’est pas pour moi” ?
Peut-être Wagner… les chanteurs wagnériens sont des marathoniens de l’opéra. Les opéras de Wagner qui me fascinent pourtant, restent pour le moment un monde où je ne me vois pas m’épanouir… Mais il ne faut pas dire « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau » !
Si j’étais un Lied ou une Mélodie.
Certainement un Lied de Schubert, par exemple Gruppe aus dem Tartarus, chef d’œuvre sombre et fascinant faisant référence à la mythologie, au Tartare, prison de l’Enfer… Il y a une dimension quasi cinématographique tant la musique, la voix créent un monde dans lequel on plonge, suivant le narrateur avec exhalation. C’est un concentré de film épique, comme un bon Ridley Scott mais avec le génie de Schubert et la force dramatique de Schiller !
Le rôle que je ne chanterai plus jamais.
Aucun pour le moment. Ma tessiture a toujours été hybride d’une certaine manière. J’adorerais reprendre un jour Susanna (Le Nozze di Figaro) par exemple, ensuite tout est une question d’équilibre dans la distribution ! J’ai abordé pour la première fois le rôle d’Elvira (toujours chez Mozart) à l’Opéra de Paris et je réalise combien sortir de ma zone de confort m’est nécessaire. Sur le moment, c’est une épreuve du feu à traverser, comme un rituel initiatique, qui, à travers les appréhensions, les doutes que cela peut générer est une rencontre avec soi, une leçon dont on sort grandi.
Ma devise
« I learned that courage was not the absence of fear, but the triumph over it. The brave man is not he who does not feel afraid, but he who conquers that fear »
Le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de vaincre ce qui fait peur (Nelson Mandela).