Il y a presque vingt ans, Vincent Dumestre avait imaginé avec grand succès une première version de ce Carnaval Baroque, évocation burlesque et poétique d’une fin d’hiver à Rome au XVIIe siècle. Après une semaine de résidence à l’Opéra de Rennes, nous voilà projeté du temps de Noël à celui de Carnaval, dans la nouvelle mouture d’un spectacle délicieux, remarquablement rythmé et visuellement enchanteur.
En effet, que ce soit dans les matières, les couleurs, la structuration et l’occupation de l’espace, les costumes superbes de Chantal Rousseau, la scénographie de François Destors, la réussite est totale.
Vincent Dumestre et Cécile Roussat ont choisi de renoncer à un fil narratif précis pour proposer une déambulation dans les rues de la capitale, des fastes d’un banquet aristocratique aux charmes du théâtre de tréteaux qui plonge dans les origines de l’art du cirque, depuis toujours associé aux fêtes populaires, bien avant le temps des chapiteaux.
Le cadre religieux du Carnaval est rappelé par un superbe lever de rideau sur une procession religieuse toute en bougies et clair-obscur. Les lumières de Christophe Naillet sublimeront pareillement chaque tableau tout au long de la soirée. Le recueillement et la sobriété de cette Litania dei Santi de Maletti met immédiatement en valeur l’osmose du quatuor vocal qui fera tout autant merveille dans l’ébriété d’une canzonetta d’Il Fasolo ou le si amusant Lamento del Naso de Claudio Monteverdi et Virgilio Albanese. Anaïs Bertrand y offre son timbre plein, très droit, au focus précis, Igor Bouin son émission sereine et bien ancrée, Martial Pauliat à la belle prestance ne démérite pas même si ses aigus ont tendance à reculer, tandis que l’excellent Paco Garcia brille particulièrement dans la Tarantella del Gargano à la projection d’une grande d’autorité.
La partie vocale nous balade d’un patois à l’autre, du nord au sud de l’Italie dans des partitions folkloriques, charmantes ou parodiques. Elle s’avère finalement plutôt modeste en regard des partitions instrumentales qui elles-mêmes, sont toujours au service de la scène jusqu’à quelques interactions savoureuses qui réjouissent le public.
Le programme est construit autour du compositeur d’opéras Francesco Manelli, directeur de troupe lyrique, qui sous le pseudonyme de Il Fasolo – le haricot ! – composa également une musique de carnaval, toute en légèreté, à laquelle Le Poème Harmonique consacra un disque en 2002 sous le label Alpha.
Si le son à sept instrumentistes manque parfois d’ampleur – ce qui risque de poser question la semaine prochaine dans le vaste vaisseau du Théâtre des Champs Élysées -, le travail de rythmique, de couleurs et de nuances élaboré par le Poème Harmonique est un pur régal dans une connexion idéale avec l’action au plateau, des jeux d’écho entre le geste de l’acrobate, du mime et celui du musicien. Le choix d’instrumentation joue des atmosphères avec autant d’intelligence que de sensibilité. Les soli au cornet à bouquin, à la flûte ou au colascione sont particulièrement délectables.
Le temps de Carnaval est celui de l’inversion des valeurs, où tout est sans dessus dessous avant l’austérité du Carême. Or, bouleverser l’ordre habituel du monde, voilà précisément l’essence du cirque : jonglages avec balles, massues mais également balai, diabolo endiablé et incroyable roue cyr, tours de passe-passe et multiplication magique des flacons de vins, danse de corde, mat chinois, acrobaties, pyramides humaines… Huit épatants artistes circassiens déroulent avec une formidable fluidité tous les possibles du genre. Sous les apparences d’improvisations potaches, les lazzis – loufoqueries – de la commedia dell’arte rendent les changements techniques parfaitement naturels. Ainsi, le public retrouve son âme d’enfant, galvanisé par les rires délicieux des bambins venus profiter du spectacle et qui s’esclaffent devant chaque pitrerie, entraînant les adultes dans leur sillage.
Un spectacle à applaudir à Rennes les 2 et 3 janvier ; à retrouver dès le 13 au Théâtre des Champs Élysées; le mois suivant à l’opéra de Rouen ainsi qu’à Tourcoing; en mars à Vitry-sur-Seine et en mai au Théâtre de Caen.