Créée à l’Opéra de Paris en 2011, cette production de Giulio Cesare in Egitto n’a jamais réellement convaincu. Conçue à l’origine autour de la personnalité hors norme de Natalie Dessay, la mise en scène de Laurent Pelly ne parvient pas à mettre en valeur toutes les merveilles de cet opera seria. Cette nouvelle reprise très courue – douze représentations à guichets fermés -, confirme hélas nos impressions antérieures. On se lasse vite de la transposition dans un musée du Caire, tant le concept, basé sur une succession de gags, s’épuise de scène en scène. Ce trop plein de mouvement et d’agitation inutile (ah, ces incessantes allées et venues des salariés du musée!) est un véritable tue l’émotion. Si l’on se prend parfois à sourire (Cleopatra arrivant sur un diable ou enroulée dans un tapis), jamais l’on est ému. Un comble pour une œuvre comportant certaines des arias les plus déchirantes du répertoire baroque.
Dans ce contexte, quelle drôle d’idée, après un Ariodante des plus ternes l’an passé, de confier à nouveau la baguette à Harry Bicket. Le chef anglais déroule tranquillement sa partition numéro après numéro, avec des tempi uniformément allants, des récitatifs accompagnés inhabités (« Che sento » de Cleopatra) et des transitions qui tombent à l’eau (laborieuse sinfonia du troisième acte). Plus mystérieux encore : alors que d’innombrables ensembles baroques jouent merveilleusement la musique de Haendel, ce sont les instruments modernes de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris qui sont dans la fosse, une première depuis 1997 dans ce répertoire. Les valeureux musiciens réussissent à alléger le son et à s’approprier en partie le phrasé baroque comme en témoigne une Ouverture prometteuse. Mais même si l’orchestre est épaulé de quelques instruments baroques – théorbe en fosse, viole de gambe sur scène pendant le « V’adoro pupille » de Cleopatra -, on regrette beaucoup le timbre incomparable de ces derniers, à commencer par le traverso de « Piangero » et le cor naturel de « Va tacito ». Au final, l’expérience, intéressante sur le papier, ne méritait sans doute pas d’aller jusqu’à la scène : quel contraste avec le brillant Concert d’Astrée, dans la fosse dans cette même production en 2011 et 2013.
Le temps de quelques fulgurances, la distribution sauve la soirée, mais sans qu’aucun des chanteurs ne soit parfaitement dans son rôle. En Cesare, Gaëlle Arquez, de par sa familiarité avec ce répertoire et une grâce musicale innée, livre une belle prestation vocale, à l’instar d’un « Aure, deh, per pietà » qui restera comme l’un des rares moments saisissants de la soirée. Mais le rôle de Cesare, créé par le castrat alto Senesino, est trop grave pour la mezzo française, qui bute dès son entrée sur un « Presti omai » manquant d’assise ainsi que sur les vocalises peu audibles du « Empio, dirò, tu sei ». Avec un tonitruant récitatif d’entrée (« Regni Cleopatra »), Lisette Oropesa impose ses moyens phénoménaux : projection royale, justesse imparable, trille précis. Mais mal à l’aise dans l’écriture haendélienne qui sollicite un legato et un bas médium qui lui échappent et interprétant des da capi de façon trop impersonnelle, la soprano américaine ne convainc pas toujours. Elle réussit davantage à habiter les airs les plus rapides, même si son « Da tempeste » final reste trop prudent et sans le feu d’artifice vocal attendu. Plus grave, son incarnation manque de nuances – c’est entre le mezzo forte et le forte qu’elle traversera l’opéra -, et surtout, peu aidée il est vrai par la scénographie, d’émotion : rarement aura-t-on entendu « Se pieta » si peu poignant.
C’est Emily D’Angelo qui, en Sesto après avoir sagement renoncé à chanter le rôle-titre, incarne ce soir son personnage de la façon la plus satisfaisante. Scéniquement, l’androgyne cantatrice canadienne est extrêmement crédible dans ce rôle d’adolescent qu’elle habite d’une voix d’une insolente santé et d’une belle agilité. L’incarnation reste toutefois un rien impersonnelle et univoque, et la cantatrice éblouissait davantage en Ariodante sur cette même scène il y a un an. Pour ses débuts à l’Opéra de Paris, le Tolomeo bien chantant de Iestyn Davies ne manque pas de charme, mais sans le mordant vocal et scénique de Christophe Dumaux dans ce même rôle. La Cornelia de Wiebke Lehmkuhl séduit quant à elle par un timbre crémeux. En Achilla, Luca Pisaroni impose une belle personnalité, mais semble un rien dépassé par l’écriture exigeante (les aigus notamment) de ses deux arias. Enfin, le jeune Rémy Bres incarne avec humour le rôle de Nireno et habite joliment son aria « Chi perde un momento ».