Une large part du programme de ce récital reprend des mélodies enregistrées par les interprètes sur deux CD, aussi originaux l’un que l’autre. Ainsi le public rassemblé au Musée des Beaux-Arts est-il invité à la découverte d’œuvres de Robert Dussaut et d’Hélène Covatti (CD Audax de 2020) comme d’Albeniz (en 2021, Découverte intéressante, avec un bémol). Deux parties se succèdent, la première dédiée à la mélodie française, avec Duparc et Ravel en miroir, la seconde aux mélodies espagnoles, où Mompou, Obradors et Granados côtoient Albeniz. Prix de Rome, disparu en 1969, tombé dans l’oubli bien qu’ayant écrit cinq ouvrages lyriques et enseigné rue de Madrid, Robert Dussaut a laissé de nombreux cycles de mélodies, tout comme son épouse Hélène Covatti. Leur fille, Thérèse, fut le professeur de Iñaki Encina Oyón, qui s’en fait le chantre. Leurs mélodies, d’une écriture élégante, voire raffinée, mais aussi datée, s’inscrivent dans le droit fil de la mélodie française. Cependant, elles soutiennent difficilement la comparaison avec celles de Duparc ou Ravel. De ce dernier, on retrouve toujours avec bonheur les Cinq chansons populaires grecques.
Si la découverte est au rendez-vous, elle ne se limite pas aux œuvres. En effet, nul ne peut rester insensible à Adriana González, jeune soprano guatémaltèque, lauréate du Prix Operalia Placido Domingo 2019. C’est une authentique révélation, aux moyens superlatifs : une grande voix, lyrique à souhait, dont la plénitude, la puissance et la longueur, les couleurs, les nuances relèvent de l’exception. Son aisance, son naturel font oublier une technique de haut vol au service de l’expression. Quant à son accompagnateur, Inaki Encina Oyón, familier de Dijon où il a dirigé à plusieurs reprises, il sert avec talent l’art du chant, totalement dévoué à l’œuvre et à la cantatrice.
Cependant, la première partie interroge, trouble le plus souvent. Le français, pourtant articulé avec justesse, s’efface au profit d’une ligne vocale ensorcelante, à la beauté indéniable. On écoute, fasciné, en oubliant le texte – même lorsqu’on le connaît bien – comme s’il s’agissait de phonèmes n’ayant d’autre vertu que de colorer l’émission. On ne comprend pas, ni les poèmes dont la musique est l’illustration, ni le parti pris d’appliquer à la mélodie française une approche surlignée, qui relève du grand chant lyrique. Malgré les vastes proportions de la salle, l’écrin semble trop petit pour la voix de la soliste. L’art du conteur est oublié. Ainsi, l’intimisme de Soupir (« ne jamais la voir ni l’entendre… ») de Duparc, de la Berceuse de Covatti, cas extrêmes, est-il amoindri, tant la projection sonore l’emporte sur le ton de la confidence. Les artistes, malgré leur indéniable expérience commune, ne se sont-ils pas quelque peu fourvoyés dans un répertoire qui appelle moins de « grande » voix que l’art du récit ? Après avoir rédigé ces lignes, nous découvrons avec bonheur qu’à la fin du mois, Adriana Gonzáles sera Mimi à l’opéra de Toulon, avant de chanter Juliette à Houston. Les moyens, l’intelligence musicale et dramatique lui promettent une belle réussite.
La seconde partie, dédiée aux compositeurs espagnols, correspond davantage au tempérament des interprètes. La variété des langues (le français, l’anglais en plus de l’espagnol), explicable par l’itinéraire d’Albeniz, illustre la palette du compositeur. On retiendra son Crépuscule, retenu, émouvant. Surprise, outre les deux mélodies sur des textes de Valéry (hélas difficiles à percevoir) de Mompou, ce sont les quatre de Ferdando Obradors, totalement inconnues, qui suscitent le plus d’admiration. Particulièrement le Tres morillas, dont la veine populaire et le traitement renvoient à l’art de Maurice Emmanuel, le Bourguignon. Touchant dans sa simplicité modale, il contraste avec la luxuriance de l’interprétation des œuvres d’Albeniz et de Granados, surtout.
Le public, au sein duquel les chanteurs du Cosi fan tutte en répétition ont pris place, réserve de très chaleureuses acclamations aux interprètes. Une mémorable et riche soirée.