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22 janvier 1934 : Chostakovitch, nouvel « ennemi du peuple »

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22 janvier 2024
Lady Macbeth de Mtsensk fête ses 90 ans.

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En 1930, Chostakovitch s’intéresse de très près à une nouvelle de Nicolaï Leskov, Lady Macbeth du district de Mtsensk et demande au librettiste Alexander Preis de lui en tirer un livret d’opéra. Son idée initiale est de bâtir une sorte de trilogie sur le sort des femmes russes à travers les âges et leur soumission au patriarcat. Preis fait vite et le jeune compositeur de 25 ans à peine, alors en pleine romance pré-conjugale avec Nina Varzar, écrit la partition en un peu plus d’un an, entre 1931 et 1932. Il l’achève à Leningrad et c’est le théâtre Maly (ou Petit Théâtre) de la ville qui l’inscrit à son programme à peine quelques mois plus tard. Comme le patron du théâtre Stanislavski-Niemirovitch-Datchenko de Moscou assiste à l’une des répétitions de 1933, ce dernier, transporté par ce qu’il entend, accepte de créer l’oeuvre dans la capitale soviétique juste après la première petersbourgeoise, sous le nom de Katerina Izmailova et avec quelques retouches tolérées par le compositeur.

L’oeuvre raconte l’histoire de Katerina, épouse délaissée du riche Zinovi Ismaïlov et très maltraitée par son beau-père, le brutal Boris, qui lui reproche de ne pas donner d’enfant à son fils tout en la pelotant à l’occasion. Parmi les ouvriers du moulin familial est arrivé le jeune et séduisant Sergueï, chassé d’une autre ferme où il avait flirté un peu trop imprudemment avec la femme du patron. Lors d’une soirée avinée, en l’absence du maître de maison Zinovi, lui et les ouvriers agressent sexuellement la servante Aksinia. Katerina vient au secours de celle-ci mais Sergueï la défie et l’humilie. Le vieux Boris intervient et les chasse, tout en ordonnant à Katerina de lui préparer un plat de champignons. Seule, Katerina se plaint de sa solitude mais Sergueï frappe à la fenêtre et entre dans la chambre. Katerina se donne à lui et la musique à cet endroit simule un acte sexuel frénétique (avec d’admirables glissandi des trombones après l’orgasme !). Mais Boris surprend les amants, ameute la ferme et fouette jusqu’au sang Sergueï avant de le faire enfermer et de demander à sa belle-fille de lui servir ses fameux champignons. Katerina, sans trembler, les assaisonne à la mort-aux-rats puis, pendant l’agonie de Boris, libère Sergueï. Tout le monde croit que le vieux a mangé par erreur des champignons vénéneux. Sergueï demande Katerina en mariage, mais voilà que Zinovi revient inopinément de son voyage et comprend que sa femme a un amant : il veut la frapper mais Sergueï surgit et le neutralise. Les deux amants l’assassinent et le cachent à la cave. Zinovi étant porté disparu et considéré comme mort, les amants se marient donc, mais pendant la noce, un ivrogne descend à la cave pour trouver du vin et découvre le cadavre de Zinovi, mal dissimulé. Il court alerter la police et les deux amants sont arrêtés. En route pour un bagne sibérien, Sergueï repousse Katerina à qui il reproche de lui avoir gâché la vie et court se consoler dans les bras d’une prostituée elle-même déportée, Sonietka. Katerina, effondrée, attend la première occasion et précipite Sonietka dans les eaux glacées d’une rivière avant de s’y jeter elle aussi, tandis que les bagnards reprennent tristement leur route.

Lors de la création, le triomphe est total. Il avait été préparé par des représentations privées pour des personnalités influentes du monde artistique et politique. La presse est unanime, Gorki en tête, et crie au chef d’oeuvre. L’horizon du compositeur semble radieux.

Mais quelques mois plus tard, coup de théâtre -si l’on ose dire : le tout-puissant patron du parti pour la zone de Léningrad et rival de Staline, Serguei Kirov, est assassiné, sans doute sur ordre de ce dernier. Ce meurtre sert de prétexte à une gigantesque purge, jeu préféré de Staline. Les soutiens les plus résolus de Chostakovitch lors de la création de son opéra tels Maxime Gorki, chantre du réalisme socialiste, sont peu à peu disgraciés et finiront très mal. Dans ce contexte de terreur, qui hantera Chostakovitch même après la mort du tyran, Staline assiste début 1936 à une représentation de Katerina Izmailova avec ses affreux porte-flingues Jdanov, Molotov et Mikoyan. Chostakovitch n’est pas invité, ce qui est déjà un signe assez clair.  Les officiels quittent ensuite la salle avant le dernier acte. Dès le lendemain, la Pravda se déchaine avec diligence contre un opéra « pornographique » ou plutôt pornophonique, « antisoviétique », « flot de sons intentionnellement discordants et confus », un ensemble de « tintamarre, grincements, glapissements », un « chaos gauchiste remplaçant une musique naturelle, humaine montrant sur scène le naturalisme le plus grossier » et cette phrase qui résonne comme une menace directe : « On joue avec l’hermétisme, un jeu qui pourrait mal finir »…  le tout avec pour titre « Tohu-bohu à la place de la musique » et courageusement non signé.

Chostakovitch échappe au goulag par miracle, mais ne s’en remettra jamais, hanté par la peur d’être arrêté à tout moment. Il sera régulièrement critiqué, persécuté insidieusement et se sentira obligé de cacher sa 4è symphonie qu’il écrit au même moment et dont le style serait sans doute condamné aux mêmes attaques. Il en ira ainsi, bon an mal an, jusqu’à la déstalinisation et son opéra, écarté pendant près de 30 ans, ne sera repris qu’en 1963.

En voici le tragique finale, dans une version filmée par Petr Weigl dans les années 70, avec en bande sonore la version mythique de Mstislav Rostropovitch, ami intime du compositeur. Dans le rôle titre, son épouse, Galina Vichnievskaia, l’une des très grandes titulaires du rôle (ce n’est pas elle qui joue dans le film, cependant).

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