Par son incarnation de Madama Butterfly, Alexandra Marcellier a attiré tous les regards en cette fin d’année. Après ses prestations remarquées à Saint-Etienne et Monte-Carlo, la jeune soprano revient à Paris, le temps d’un récital au cœur de l’hiver, dans la petite église protestante des Batignolles. Ne craignant pas de passer d’une grande scène à un lieu confidentiel, l’artiste s’est illustrée hier soir dans un programme hétéroclite, évidemment puccinien, mais également ouvert au grand opéra français, à l’opérette, à la zarzuela et à la mélodie, l’obligeant à l’exercice du grand écart qu’elle traverse toutefois avec l’enthousiasme de la jeunesse.
D’emblée elle ne redoute pas d’aborder les cimes avec l’air de Salomé dans Hérodiade, « Il est doux, il est bon », et surtout le « Vissi d’arte » de Tosca. Mais était-ce bien nécessaire de commencer le programme par la difficulté ? La Salomé de Massenet n’est pas le personnage le plus profond du répertoire mais son air est beaucoup plus redoutable qu’il n’y parait pour une jeune voix. Quant à Tosca, l’artiste revêt de bien larges habits en se parant des atours de la Diva des Divas, même si Alexandra Marcellier cultive à l’évidence l’art du dire qui sert la sincérité de son interprétation et dont on goûtera toute la sève dans la mélodie française qui terminera le programme.
Passé ces inutiles difficultés, la chanteuse retrouve des rives davantage en adéquation avec sa voix, avec le répertoire puccinien dans lequel elle a récemment brillé. Dans son incarnation de Mimi, tout comme dans celle de Cio-cio San, elle démontre sa maîtrise de ce répertoire aux intonations exigeantes et aux lignes longues. Ses graves surprennent par une puissance d’émission et un galbe rares chez les sopranos. Sa diction s’attache à faire ressortir le sens d’un texte qu’elle s’approprie jusqu’aux moindres inflexions. Dommage que la piètre acoustique du lieu en affecte les beaux effets. Alexandra Marcellier est à l’évidence une magnifique Butterfly mais elle est également une grande Mimi en devenir, qui n’attend plus qu’une scène majeure pour l’accueillir.
Après une très longue parenthèse pianistique offerte par Olivier Cangelosi avec la sonate numero 15 de Beethoven, remarquablement interprétée, mais coupant inopportunément le continuum du récital, la seconde partie du programme s’ouvre sur l’air de Iolanta de Tchaikovsky. Subtile, la jeune soprano varie avec intelligence l’intensité de son chant. Certes, son timbre n’est pas aussi capiteux que celui d’une Yoncheva, et la tessiture aiguë gagnerait à se détendre un peu, mais la beauté du timbre, le sens du chant projeté, la palette des couleurs font ici merveille. La soprano s’offre ensuite une excursion en terre d’opérette avec une rareté de Stoltz Venus en Seide. Dans « Spiel auf deiner Geige », elle démontre qu’elle incarne et habite les airs tout autant qu’elle les interprète. Après l’opérette, c’est dans la zarzuela que ses talents de comédienne trouvent à s’exprimer de belle manière. Dans Château Margot de Manuel Cabellero, elle s’empare à bras-le-corps, avec humour et ironie, du genre vaudeville, dans un parlé-chanté magnifiquement maîtrisé.
Le programme se termine avec Madama Butterfly dont Alexandra Marcellier offre en bis, « Un bel di vedremo » ainsi qu’une des quatre chansons pour enfants de Poulenc, « Le Petit garçon trop bien portant ». La jeune artiste joue ici avec le public et fait de ses oublis du texte des moments d’humour. Dotée d’un tempérament de feu, elle y déploie en outre un large éventail de ressources expressives qui rend compte de la facilité de la chanteuse à incarner pleinement son chant, même si une nouvelle fois, l’acoustique des lieux entame la pleine compréhension du texte servi par des mots truculents et un brin triviaux.
En dépit d’un programme un tantinet fourre-tout, de l’incongruité de la sonate de Beethoven en plein milieu de celui-ci, l’inadéquation des lieux, dans une organisation improvisée, Alexandra Marcellier est apparue égale à elle-même, une voix au timbre unique, séduisant, et pétrie de nuances et de couleurs mise en valeur par une belle projection et une diction impeccable, qui la rapproche chaque jour un peu plus près des étoiles de l’art lyrique. Il nous tarde donc de la retrouver sur une scène à la mesure de son talent.