En février 2000, au Grand Théâtre de Genève, les metteurs en scène Patrice Caurier et Moshé Leiser avaient mis en scène un Pelléas et Mélisande inoubliable, avec dans les rôles titres la jeune Alexia Cousin et Simon Keenlyside sous la direction musicale de Louis Langrée. Des années plus tard, les mêmes Caurier et Leiser découvrent la partition piano-chant que Debussy, bouleversé par la pièce de Maeterlinck, avait composée et décident de la mettre en scène. Pari risqué ? Pari tenu ! La Fondation Royaumont s’engage avec eux dans l’aventure et ce Pelléas, créé en 2021, arrive enfin au Théâtre de L’Athénée.
La scène est nue : un ou deux meubles, au fond une porte, et, protagoniste essentiel, un piano (comme autrefois à Genève). Martin Surot interprète le prélude avec une telle sensibilité qu’il acquière d’emblée une forte présence théâtrale et cela sans quitter la scène durant plus de deux heures, nous donnant, de surcroit, l’impression de découvrir la partition à tout moment. Les lumières rasantes et subtiles de Christophe Forey – deux rangées de projecteurs au sol en coulisses – créent de telles atmosphères qu’on imagine aisément les soleils sur la mer, la grotte, le jardin, la fontaine, la tour, d’autant qu’un tel dépouillement donne tout pouvoir à la musique et au texte La remarquable direction d’acteurs de Caurier et Leiser permet aux chanteurs de rentrer dans les personnages sans jamais abdiquer leur propre personnalité. Pas d’artifices ! Ils sont vrais ! Ce travail leur confère une réelle liberté de jeu permettant l’adhésion immédiate des spectateurs et la profonde émotion ressentie tout au long du spectacle sans qu’à un seul moment l’attention se relâche. Les metteurs en scène s’inspirent en permanence de la partition. Ainsi, comment oublier la scène de la grotte quand, sur le lyrisme puissant et soudain de la musique, Mélisande se blottit pour la première fois contre Pelléas au moment où il s’écrie « Voici la clarté » ? Ou la scène de la tour quand les jeunes gens, autour du piano où ils se lovent, osent s’avouer leur amour avec une sensualité délicate et une tendresse bouleversante. La dernière rencontre entre Pelléas et Mélisande est tout aussi saisissante.
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La distribution est d’une homogénéité rare et tous interprètent avec justesse le texte de Maeterlinck. Le timbre clair de la soprano Marthe Davost, son legato, son phrasé en font une Mélisande lumineuse. En grande comédienne, elle exprime à merveille l’évolution du personnage, voulue par Caurier et Leiser, de la jeune fille fragile du début à la femme plus mûre, bientôt mère et moins vulnérable. Jean-Christophe Lanièce est tout aussi remarquable en Pelléas avec un beau de timbre de baryton et le même legato soutenu lui permettant des inflexions propres aux grands interprètes de mélodies et de lieder. Le personnage tient sa force de la fragilité qu’il sait si bien exprimer. Halidou Nombre, à la stature et la voix imposante, compose, avec une déclamation plus théâtrale, un Golaud tout en contraste dont il fait ressortir subtilement, au-delà de la violence, la profonde souffrance. Cyril Costanzo, basse à la voix claire et franche, est un Arkel bien plus touchant et complexe qu’à l’ordinaire, Marie-Laure Garnier, soprano au beau timbre de mezzo, une Geneviève imposante, très présente tout au long de la tragédie, comme le personnage d’Yniold bien loin de la naïveté enfantine habituelle interprété très justement par Cécile Madelin. Bref, il s’agit ici d’un spectacle à ne pas manquer !