Requiem, certes, mais requiem personnel, détaché de toute liturgie ou dogme, le Deutsches Requiem de Brahms est une œuvre profondément humaine. Il n’y est pas tant question de rémission des pêchés que d’acceptation de la finitude humaine, pas tant question de prière adressée à un autre (ou Autre) que de méditation sur notre propre condition. C’est une œuvre qui parle de la mort, mais c’est d’abord une œuvre lumineuse qui s’ouvre et se clôt en abordant le réconfort que procure l’acceptation de tout destin et la satisfaction d’avoir mené une vie droite – que l’on donne à cette notion un sens religieux ou non.
Une œuvre autoréflexive sur le pouvoir de concorde que porte toute musique exécutée en public – à l’église ou au concert. Au fond, peu importe.
Thomas Hengelbrock offre une lecture limpide d’une œuvre qu’il connaît manifestement très bien (il dirige par cœur). Le chef a à cœur de faire droit à la palette infinie de contrastes que recèle la partition et, s’il est toujours suivi lorsque l’intensité est explosive, il peine à atteindre une douceur suspendue et lumineuse, presque miraculeuse, en-deçà de toute nuance. D’abord en retrait, le Balthasar Neumann Orchester ne tarde pas à s’imposer, et sans jamais couvrir le chœur ni les solistes (qui chantent derrière l’orchestre), à prendre le plein élan d’une musique qui s’envole. Dans le « Denn alles Fleisch, es ist wie Gras », les instrumentistes bougent comme une vague ou un raz-de-marée, la musique est visuellement incarnée. Vécue dans la chair.
Protagoniste principal de l’œuvre – car c’est bien la communauté entière des femmes et des hommes qui est ici mise en scène –, le Balthasar Neumann Chor possède toutes les qualités d’un chœur d’exception. Les attaques sont toutes parfaitement maîtrisées, les sauts d’intervalles irréprochables – francs et sans aucun port de voix. L’homogénéité du son est remarquable, pleine et ronde. Dans le « Selig sind, die sa Leid tragen », qui ouvre l’œuvre, le thème passe d’une voix à l’autre avec une magnifique fluidité. Le « Selig » (« bénis ») est aérien et lumineux, annonçant le caractère général de la pièce. Capable également d’exprimer une grande violence – dans le « Denn alles Fleisch, es ist wie Gras » où l’homme se découvre mortel, singulièrement –, le chœur ne cède jamais à l’excès d’enthousiasme, mais rapporte toujours ses intentions au texte.
Baryton à la projection claire et canalisée, Domen Križaj propose une lecture peut-être un peu trop propre du « Herr, lehre doch mich », qui contraste avec l’investissement du chœur dans le même air : manque d’engagement ou sérénité face à une mort certaine ?
Si Eleanor Lyons offre une voix colorée aux harmoniques riches et larges mais sans vibrato intempestif, une voix qui pourrait donc parfaitement servir ce répertoire, on regrette un manque de direction et un phrasé inabouti. Le son n’est ni plein, ni constamment nourri, mais dirigé vers certains temps forts. Ce qui fonctionne parfaitement dans l’interprétation baroque se révèle ici inapproprié.
Un silence recueilli – plusieurs dizaines de secondes – succède au dernier accord, alors que se profile l’espoir d’une vie éternelle fondée sur le bien que font les vivants. Dimension sacrée du concert ?