Lorsqu’il reçoit commande d’un nouvel opéra pour la Fenice de Venise à la toute fin de l’année 1822, Meyerbeer sillonne l’Italie depuis 1816. Depuis qu’il y a assisté à une représentation de Tancrède de Rossini, il ne réfrène plus son exaltation. Il veut en quelque sorte devenir Rossini ou rien ! Rappelons qu’ils n’ont que quelques mois d’écart…
Le thème de son nouvel opéra, ce sont les croisades et c’est son librettiste fétiche, Gaetano Rossi, rencontré pendant son périple et qui écrira plusieurs de ses textes, que Meyerbeer charge de trouver une histoire, qui s’inspire d’une pièce vieille d’une décennie, Les Chevalier de Malte. Rossi va l’adapter et le transposer, le transformer, de même que Meyerbeer lui-même.
L’opéra se déroule …en Egypte. Armando d’Orville (castrat) est devenu Elmireno, favori du sultan Aladin (basse), dont il a épousé secrètement la fille Palmide (soprano) alors qu’il est déjà fiancé à Felicia, qui est restée en Provence, dont Armando est originaire. Mais ça tombe bien, pour le récompenser de ses exploits militaires à son service, Aladin donnerait bien la main de sa fille à son favori. Mais cela fait un gros mécontent, Osmino, grand vizir et surtout très amoureux de Palmide. Et cela fait deux inquiets car il va falloir se marier selon le rite musulman : Armando est un chrétien qui se cache tandis que Palmide est une chrétienne convertie qui a déjà donné un fils à son mari secret…
Voilà que débarquent des chrétiens de Rhodes, venus négocier un échange de prisonniers. Felicia, la promise d’Armando, est là, déguisée en homme, à la recherche de son fiancé. La délégation chrétienne est conduite par Adriano, qui n’est autre que l’oncle d’Armando et le reconnaît dès qu’il le voit. Le jeune homme aurait préféré passer pour mort. D’autant que Felicia comprend bien vite qui est Palmide… Mais, très noble, elle renonce à Armando pourvu qu’il ne laisse tomber ni sa femme, ni son fils. Le sultan reçoit la délégation avec éclat et propose un échange de prisonniers. Il souhaite en profiter pour marier ses deux tourtereaux. Mais lorsqu’Armando paraît, c’est avec son armure de chevalier croisé. Fureur d’Aladin qui tente de le tuer. Felicia, toujours déguisée, surgit pour l’en empêcher et combat avec lui, se proclamant frère d’Armando.
Armando a été arrêté et emprisonné. Osmino révèle à Aladin la vérité sur le fils caché que ce dernier a eu avec Palmide. (re) fureur d’Aladin qui veut tuer l’enfant, mais Palmide s’interpose. Apaisé par les larmes de sa fille, Aladin décide de libérer les chrétiens. Mais lorsqu’il apprend la vérité sur l’enfant à son tour, tonton Adriano se pince le nez. Heureusement, ils comprend que Palmide est chrétienne elle aussi et l’accepte dans la famille. Evidemment, Aladin surprend ces révélations et ordonne l’exécution de tous ces traîtres, à part sa fille bien sûr. Osmino et ses sbires proposent aux chrétiens de s’unir à eux contre Aladin, mais Armando décide de défendre le sultan contre les séditieux. Il remporte la victoire et obtient enfin la main de Palmide.
C’est peu dire que le succès de cet opéra est grand. C’est un gigantesque triomphe lorsqu’il est créé à la Fenice voici deux siècles. Son ami Rossini étant parti s’installer en France pour ne (presque) plus jamais revenir, Donizetti et Bellini étant encore balbutiants, Meyerbeer n’a que se baisser pour recueillir la mise. L’Italie tiendrait-elle un nouveau génie venu d’Allemagne ? En tout cas, partout, la reprise de l’opéra déclenche une hystérie collective.
Mais contre toute attente, Meyerbeer ne va pas transformer l’essai. Il va décider de faire comme son mentor et d’aller tenter sa chance à Paris. C’est donc le dernier opéra de Meyerbeer écrit en Italie et en italien.
Cet étonnant choix se révèlera gagnant. Déjà la Crociata porte en elle un parfum de soulèvement et de victoire qui galvanise les foules, mais elle annonce surtout le virage que va bientôt prendre Meyerbeer, jetant les bases du grand opéra « à la française » tout en signant la fin d’une longue époque déjà bien révolue en 1824 en confiant un rôle de premier plan à un castrat. En attendant, cet immense succès va bientôt disparaître, pour ne revenir qu’en 1972.
Dans son tout nouveau et très remarquable album, Michael Spyres interprète le noble « Suona funerea » d’Adriano