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16 mars 1894 : Thaïs ne séduit pas

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16 mars 2024
Massenet ne convainc pas dans son adaptation du roman d’Anatole France

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Thaïs est l’un des romans qui ont valu le plus de succès à Anatole France, auteur un peu négligé aujourd’hui, et qui le publie en 1890 chez Calmann-Lévy après avoir livré une version en feuilletons dans la Revue des Deux Mondes durant l’été 1889.

Anatole France à l’époque de Thaïs

Il semble que Jules Massenet en ait pris connaissance à ce moment là, attiré peut-être par le retentissement de cette publication. Dans ses Souvenirs, il raconte que c’est le librettiste et écrivain Louis Gallet, qui lui avait déjà concocté deux livret d’opéras – Le Roi de Lahore et Le Cid – et celui de l’oratorio Marie-Magdeleine, qui lui a soufflé l’idée d’adapter Thaïs pour la scène. Certains musicologues estiment aujourd’hui que c’est sans doute une idée de Massenet lui-même, qui aurait demandé à Gallet de se mettre au travail, comme ce dernier l’affirmera dans un article pour le journal Le Ménestrel.

Louis Gallet

On peut surtout émettre l’hypothèse qu’il voulait écrire un nouveau rôle pour une chanteuse qu’il adorait et qui avait déjà créé son Esclarmonde en 1889, l’Américaine Sybil Sanderson. Le compositeur, qui vient de changer d’éditeur, a besoin d’engranger un succès, et il est persuadé que Sanderson le lui apportera. Capricieuse mais populaire, elle attire les foules et est l’une des meilleures interprètes de l’époque.

Sybil Sanderson, première Thaïs

Gallet s’exécute et travaille à un livret en vue d’une création à l’Opéra-Comique, premier commanditaire et où chante la Sanderson. Il commence à l’écrire en 1891 et Massenet entame la composition chez lui, à Paris, en mars 1892. Les débuts ne sont pas faciles. Massenet hésite, rature, reprend, s’épuise. Il termine la partition pour piano-chant en juillet 1892 et commence l’orchestration aussitôt, jusqu’à l’automne.

Bien qu’on ait vu qu’il ne fallait pas croire tous ses Souvenirs, Massenet raconte : « Je terminai Thaïs, rue du Général Foy, dans ma chambre, dont rien n’aurait troublé le silence, n’eût été la crépitation des buches de Noël qui flambaient dans la cheminée. »

Début 1893, l’Opéra-Comique ayant fini par refuser de céder à un nouveau caprice coûteux de la Sanderson, celle-ci n’y renouvelle pas son contrat et ne tarde pas à être récupérée par la concurrence, à savoir l’Opéra de Paris. Il faut donc déjà modifier la partition car il faut, comme la tradition l’exige, un ballet, qui va devenir le « Ballet de la tentation ». L’Opéra accepte volontiers Thaïs. La nouvelle version est achevée à l’automne 1893 et on peut entamer les répétitions.

L’affiche originale en imitation de papyrus, signée Manuel Orazi

C’est malheureusement ce ballet qui va subir de vives critiques dès la générale du 13 mars 1894. Trois jours plus tard, malgré des modifications visant à le réduire et quelques autres ajustements, l’accueil public n’est pas bon. Le critique Camille Bellaigue écrit sans nuance : « N’allons pas plus loin, le ballet est manqué ». Massenet le retirera quelques semaines plus tard.

Pour la première, pourtant, Massenet n’est pas là. Ce sont les deux directeurs de l’Opéra, Eugène Bertrand et Pedro Gailhard, qui viennent lui rendre compte, « la mine effondrée », racontera le compositeur. « Je ne pus obtenir d’eux que des soupirs, des paroles qui m’en disaient long dans leur laconisme. «  La presse… Mauvaise !… le sujet… Immoral ! C’est fini. » »

Jean-François Delmas, premier Athanaël

Dans le Journal des Débats du lendemain de la création, Adolphe Jullian écrit : « Ce fut une surprise, presque une déception pour le public », qui se montre cependant plus indulgent que la critique. Certains voient dans l’animosité de cette dernière une condamnation de l’utilisation de ce que l’on appelle le « vers blanc », une poésie sans rime, ce que les puristes réprouvent. Louis Gallet devra s’en expliquer dans un article et rappeler que d’aucuns avaient déjà fait des vers en prose avant lui pour l’opéra. C’est faire grand cas d’un petit problème, que certains, comme Léon Kerst dans Le Petit Journal, montent pourtant en épingle non sans férocité contre « cette langue Maître Jacques, insexuelle au premier chef, qui va comme elle peut, sans savoir où et qui, c’est vraiment le cas de le dire, ne rime à rien… ». À moins que ce ne soit le sujet, trop sulfureux ou tiré d’un roman jugé inadaptable. Le même Léon Kerst y voyant même une « énorme erreur » là où le disciple de Massenet Alfred Bruneau estime lui que Thaïs, par son sujet, est comme Salomé ou Manon, « l’idée fixe, obsédante, dominatrice de toute son œuvre : la lutte entre la courtisane et le prêtre. » D’autres accusent la forme de la partition que Gallet et Massenet ont intitulé « comédie lyrique » sans que personne ne sache trop pourquoi. Même la musique divise les critiques. Camille Bellaigue aura sans doute la dent la plus dure : « Après l’année heureuse, la mauvaise année : Thaïs après Werther, après l’une des meilleures partitions, l’une des moins bonnes, peut-être la moins bonne de M. Massenet. »

Massenet en 1895

Devant tant d’enthousiasme, la partition ne restera pas longtemps à l’affiche et n’aura pas beaucoup plus de succès en 1898 après plusieurs modifications d’importance.

Il reste quand même le jugement d’Anatole France, qui a sans doute mis un peu de baume au cœur de Massenet : « Cher maître, vous avez élevé au premier rang des héroïnes lyriques ma pauvre Thaïs. Vous êtes ma plus douce gloire, je suis ravi. (…) Je suis heureux et fier de vous avoir fourni le thème sur lequel vous avez développé les phrases les mieux inspirées. Je vous serre la main avec joie ».

Après Sanderson, Silas ou Esposito, l’une des grandes interprètes contemporaines de Thaïs reste Renée Fleming, ici dans le grand air du miroir, extrait parmi les plus célèbres de l’oeuvre, avec la trop rabâchée Méditation pour violon et orchestre.

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