Infatigable Marina Viotti ! Elle chantait Carmen à Zurich la veille. La voilà sous la voute gothique de la Sainte Chapelle dans un programme entièrement consacré à Rossini à travers des pages rarement interprétées.
A ses côtés, Jan Schultsz et un piano forte Pleyel daté de 1839, semblable à celui sur lequel le Cygne de Pesaro composait ses Péchés de vieillesse à l’usage exclusif des invités de ses soirées parisiennes. L’instrument offre un son feutré et une moindre puissance supposés rendre à ces partitions leur caractère original. L’acoustique de la Sainte Chapelle n’est pas celle des salons lambrissés de la Chaussée d’Antin et notre oreille, pervertie par des pianos modernes, n’est pas la mieux placée pour goûter ces sonorités d’un autre temps, privées de métal et d’éclat.
Puis, quels que soient la fantaisie, la grâce et les clins d’œil dont Rossini parsème sa musique instrumentale, quelle que soit la virtuosité requise par des pièces simples au premier abord avant de devenir véloces, et quelle que soit la maîtrise de Jan Schultsz pour surmonter leurs difficultés techniques, ces partitions aux noms évocateurs – « Première communion », « Petit caprice (dans le style d’Offenbach) », « Ritournelles gothiques » – nous semblent tourner à vide. Charmantes souvent, amusantes parfois mais anecdotiques. La faute à Rossini dont l’art demeure d’abord vocal ?
La faute aussi à Marina Viotti dont le chant agit à la façon d’un philtre d’amour. Que la mezzo-soprano quitte la scène, et l’attention retombe. Quelle est la formule de cet élixir puissant qui possède le don d’ensorceler ? Le timbre d’abord, un velours ni trop ras, ni trop épais, de teinte amarante, doux sans être fade, vif sans aigreur, ni acidité ; la ligne de chant ensuite, longue, tracé d’un geste continu et égal ; l’émission naturelle sur un ambitus confortable – aucun aigu n’est tiré ; aucun grave n’est forcé ; la souplesse, même si les pages choisies n’exigent pas de contorsions vocales – l’absence d’effet est la première de leurs difficultés.
L’art de Marina Viotti réside aussi dans sa capacité à faire vivre le texte, qu’il soit d’essence spirituelle – l’« Ave Maria (su due note) » –, bouffonne – « La chanson du bébé » – ou mélancolique – « Mon bien-aimé », même si dans cette dernière mélodie, la diction française est insuffisamment claire pour que l’on saisisse la touche d’humour promise, tout comme un mot sur deux nous échappe dans « A Grenade ». Cette expressivité trouve matière à s’exercer dans La regata veneziana : l’histoire en trois temps et en dialecte vénitien d’une régate sur le Grand Canal vue du balcon de la fiancée d’un des rameurs.
Ces tre canzonzette ont été popularisées par Cecilia Bartoli, explique la chanteuse qui présente chaque numéro interprété. Et l’on sent derrière ses quelques mots, l’amour de cette musique et la joie d’en partager l’esprit. Ce plaisir se teinte d’humanisme lorsque Marina Viotti met en avant le message de pardon véhiculé par son unique bis – en raison des contraintes horaires imposées par le lieu du concert – : le rondo de La Cenerentola, feu d’artifice généreux – et périlleux au lendemain de Carmen, prévient-elle –, varié, orné, trillé, roucoulé avec une aisance déconcertante qui met le public débout.
Prochains rendez-vous du Paris Sainte Chapelle Opera Festival : le 20 avril, des airs baroques et mélodies perses par le contre-ténor Cameron Shahbazi et le 21 avril, Melanie Sierra dans « les plus beaux airs de Broadway ».