L’été, lorsque Gabriel Fauré voyageait en compagnie de sa maîtresse, la pianiste Marguerite Hasselmans, il écrivait à Marie, son épouse légitime : « Enfin, je pense beaucoup, beaucoup à vous trois, ainsi qu’à grand-père et grand-mère, et je vous embrasse tous de tout mon cœur » (Lausanne, le 28 juillet 1907).
Née en 1856, Marie était la fille du sculpteur Emmanuel Frémier (1824-1910) dont l’Éléphant pris au piège monte aujourd’hui la garde devant le musée d’Orsay. Elle avait épousé le compositeur en 1883. Deux fils naîtront de leur union : Emmanuel (1883) et Philippe (1889). « Leur mariage interroge » écrit en préambule Jean-Michel Nectoux, éditeur de ces Lettres à Marie, l’un des principaux spécialistes de Fauré, sans apporter de réponse à cette interrogation.
Déjà publiées en 1951 chez Grasset, cette correspondance univoque fait l’objet d’une nouvelle édition plus complète que la précédente, annotée et indexée. Au fil des missives, de 1882 à 1924, année de la mort du compositeur, quelques confidences instructives émaillent de nombreuses considérations domestiques qui font le lecteur voyeur d’un quotidien sans grand intérêt. Comme souvent en de pareils ouvrages, il faut séparer le bon grain de l’ivraie.
L’index s’avère bienvenu si l’on veut aller à l’essentiel. A Bayreuth par exemple en 1886 lors du premier pèlerinage wagnérien de Fauré : « Je suis tout rempli de cette Tétralogie, elle me hante nuit et jour ! Je ne crois pas que ces œuvres soient des exemples directs et qu’il soit possible de les imiter. Mais des bienfaits et des enseignements en découlent pourtant d’une façon générale. Cela vous pénètre comme l’eau pénètre le sable ». Ou à Monte-Carlo en 1913, lors de la création de Pénélope : « Ici, j’ai la sensation d’avoir écrit une œuvre assommante, terne, sans vie ! » (les mots en italique ont été soulignés).
Le relatif insuccès de son unique opéra laisse transparaître une pointe de désillusion mêlée d’agacement lors de sa reprise à l’Opéra-Comique en 1919 : « Lorsque les abonnés ont entendu une œuvre nouvelle une fois, ils ne veulent plus en entendre parler ! Ils ne demandent qu’à ruminer comme les veaux, les vaches et les bœufs, les mêmes horreurs : Tosca, Manon, Vie de bohème » – « ces œuvres célèbres sont en effet fort éloignées du langage comme de l’esthétique de Pénélope… », commente Jean-Michel Nectoux. Un « opéra-comique » de Verdi – Falstaff, probablement – ne semble pas trouver davantage grâce aux oreilles de Fauré mais cette fois, c’est son début de surdité que le compositeur met en cause : « Les intervalles des sons graves se modifient à mesure qu’ils descendent, et les intervalles des sons aigus se modifient à mesure qu’ils s’élèvent. Alors tu t’imagines ce qui peut résulter de cette dissociation. C’est infernal. Et c’est comme ça, c’est au milieu de cette horrible grimace de sons que j’entends Pénélope ! ».
Des notes de bas de page succinctes, l’absence d’iconographie et de textes de liaison biographiques qui seraient bienvenus pour suivre et comprendre le parcours du musicien réservent en premier lieu cet ouvrage aux chercheurs ou aux mélomanes inconditionnels de Gabriel Fauré.