Confier Un ballo in maschera à Rafael R. Villalobos allait nécessairement conduire à regarder cette œuvre charnière de Verdi sous différents prismes. Le choix de la version dite de Boston encore davantage, puisque la question porte moins sur la censure pesant sur l’assassinat d’un roi que sur les méandres de la jeune Amérique : complot politique, racisme etc. qui trouvent un écho évident avec notre époque, s’ils ne sont pas intemporels. Voici donc l’action transposée dans les années Reaganiennes, son essor des chaines d’info (Ulrica devenue magnat dirige une chaine d’astrologie et se retrouve à la tête des conspirateurs), son bouillonnement urbain (Amelia cherche l’herbe de l’oubli à un point de deal) et ses questions de société (le voguing irrigue les danses du bal à proprement parler par une référence à une performance de Madonna au MTV Awards). Enfin, Oscar devient en quelque sorte le personnage principal de l’intrigue. Le metteur en scène l’imagine comme le fils de Renato et Amelia, ou plutôt comme le fils trans en rupture totale avec son Père (Oscar prend d’ailleurs systématiquement le parti adverse de Renato dans le livret) et ayant trouvé en Riccardo un père d’adoption. Par ce biais, Rafael Villalobos donne un sens tangible et moderne à ce rôle pantalon. Bien qu’inventés, ces ajouts ne retirent rien à la lisibilité de l’œuvre et servent d’appui à nos personnages et à leurs relations : la scène entre la mère et le fils qui suit le « morro » s’avère ainsi bouleversante. Autant de cartouches que le metteur en scène utilise pour soigner une direction d’acteur très précise, des choristes aux solistes, que l’œuvre, entre « concertato » à la Rossini et grand arias verdiens, ne permet pas toujours. La réalisation ne souffre aucun défaut, notamment lors de la scène du bal, toujours difficile à régler. Tout juste trouve-t-on limité le choix d’un décor en ruine – surement pour souligner la décrépitude de cette société – déjà vu maintes fois.
Les choix d’Antonino Fogliani laissent parfois perplexe. Si l’on est séduit globalement par les tempi, très allants, et le scrupule à mettre en valeur les styles entre pur bel canto et Verdi de la maturité, on s’interroge en revanche sur les ralentis quasi systématiques choisi pour les fins d’air qui plombent plusieurs fois leurs effets. En ce soir de première, tout n’est pas encore parfaitement réglé et certains départs s’avèrent compliqués, de même que quelques moments de flottement. L’orchestre et les chœurs de l’Opéra de Valence démontrent une fois plus qu’ils n’ont rien à envier aux scènes d’envergure internationale.
De même que la distribution réunie, à commencer par les comprimari, s’avère tout à fait satisfaisante. Agnieszka Rhelis offre les moyens de son mezzo proche du contralto à Ulrica. Sa projection idéale lui permet de combler une puissance vocale plus restreinte. Débarrassée des atours de la devineresse noire (rôle dévolu à une figurante « présentatrice de télévision »), sa composition de magnat vengeresse donne une dimension inhabituelle au rôle. Est-ce parce que le rôle d’Oscar est toujours apprécié ou bien parce qu’elle chante à domicile que Marina Monzó se taille un tel succès ? La réponse se trouve bien plus certainement dans une technique superlative, qui nous gratifie de quelques trilles supplémentaires dans les pirouettes vocales du jeune homme. Le timbre, plus mat que chez d’autres interprètes, ne nuit en rien à une incarnation portée par la proposition scénique et où l’aisance sur toute la tessiture provoque l’enthousiasme. Anna Pirozzi comble le manque de charme immédiat de son timbre par un style irréprochable et une endurance à toute épreuve. L’air du troisième acte, très incarné, conquiert la salle par sa profondeur interprétative et la science des demi-teintes savamment distillées qui lui confèrent un fort impact dramatique. Franco Vassallo pousse encore plus loin ses effets, au point de commettre quelques fautes de style. Certes ces aigus péremptoires, parfois rajoutés, sont impressionnants mais ils se font au détriment de l’expression, souvent monocorde. Robuste, son Renato reste encore en surface et ne trouve pas le chemin du cœur au troisième acte. Francesco Meli enfin, sert Riccardo de son phrasé élégant, de nuances et de demi-teintes tout à fait appropriées. Le rôle, moins lourd que certains qu’il a pu témérairement aborder récemment, tombe dans les moyens de sa tessiture actuelle sans qu’il n’ait à la forcer. En scène, en politicien soucieux de son image et à l’apparence proche d’un Berlusconi, il porte la vision du metteur en scène avec crédibilité. Le spectacle en coproduction avec le Staatsoper de Berlin devrait voir Anna Netrebko succéder à Anna Pirozzi dans les prochaines saisons.