Après un détour par Fromental Halévy et Adolphe Adam, Robert Ignatius Letellier revient à l’étude exhaustive du compositeur dont il s’est fait le spécialiste avec ce volume consacré aux opéras italiens de Meyerbeer. Si le retour en grâce du compositeur ne fait plus trop de doute en ce qui concerne ses grands opéras français, lesquels recommencent à être régulièrement joués, les ouvrages de sa période italienne restent encore rares sur les scènes. Encore que cette absence soit à relativiser : les opéras seria de Rossini sont déjà des raretés et les ouvrages de contemporains comme Simon Mayr, Ferdinando Paër voire Saverio Mercadante sont quasiment disparus. Pour certains commentateurs un peu superficiels, cette époque italienne de Meyerbeer ne serait que celle d’une imitation servile de Rossini, sans le génie de celui-ci. Comme ses contemporains, Meyerbeer fut bien entendu influencé par la figure du « Cygne de Pesaro » qui dominait, et de loin, la vie lyrique de l’époque, mais il sut en tirer son miel tout en composant une oeuvre originale.
Meyerbeer arrive à Paris en 1814. Il a déjà quelques ouvrages en langue allemande à son actif. La richesse artistique de la capitale est immense, et cosmopolite : Gaspare Spontini ou Luigi Cherubini y sont ainsi des compositeurs reconnus (mais Rossini ne l’est pas encore : Otello et Il Barbiere di Siviglia seront respectivement créés en début et fin 1816). Cette effervescence le convainc d’aller travailler son style en Italie. Il y part en janvier 1816 et y restera jusqu’en 1826. Ce qu’il découvre ne l’impressionne pas de prime abord : I due Valdomiri (Winter), Icare e Daedalo (un ballet sur une musique de Lichtenthal), Adelaide e Comingio (Pacini)… n’ont pas marqué l’histoire de la musique, quoique les deux premiers aient été créés à la Scala. Rapidement, Meyerbeer se voit confier une cantate, Gli Amori di Teolinda (Vérone, 1816) puis son premier opéra italien : Romilda e Costanza (Padoue, 1817) qui sera suivi d’une Semiramide riconosciuta (Turin, 1819). Selon Robert Letellier, la musique en est sereine et simple, et surtout pré-rossienne. Avec la paire suivante, Emma di Resburgo (Venise, 1819) et Margherita d’Anjou (Scala, 1820), le compositeur bascule dans la veine romantique et connait d’ailleurs ses premiers succès internationaux. Meyerbeer travaille ensuite sur L’Almansore, qui aurait dû être créé à Rome au Teatro Argentina en février 1822, mais qui ne sera jamais représenté. Enfin, avec L’Esule di Granata (Scala, 1822) qui est un échec, et Il Crociato in Egitto (La Fenice, 1824) qui est un triomphe, Meyerbeer devient plus ambitieux et plus imaginatif dans les formes, synthétisant la tradition française de grandeur, le nouveau style imprimé par Rossini à l’opéra seria, et des expérimentations personnelles dont certaines annoncent ses futurs opéras français.
L’ouvrage de Letellier remet ces compositions dans leur contexte historique et analyse chacun de titres dans le détail : contexte de la composition, synopsis, correspondance de Meyerbeer, analyse musicale, voix, orchestre, versions, réception, enregistrements notables, le tout assorti d’index particulièrement clairs : au global, une superbe étude qui vient rendre justice à cette période de créativité du compositeur et dont l’exhaustivité force le respect.