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GLUCK, Orfeo ed Euridice

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CD
4 mai 2024
Sève printanière

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Christoph Willibald Gluck (1714–1787)
Orfeo ed Euridice
Azione teatrale per musica in tre atti
Libretto : Raniero de’ Calzabigi
Wq. 30 (première version : Vienne, 1762)

 

Détails

Orfeo

Jakub Józef Orliński, contre-ténor
Euridice

Elsa Dreisig, soprano
Amore
Fatma Said, soprano

Il Giardino d’Amore
Direction musicale
Stefan Plewniak

Enregistré du 23 au 29 janvier 2023,
Radio polonaise, Varsovie, studio S2
Producteur Exécutif : Alain Lanceron
Production musicale et direction artistique :
Jakub Józef Orliński et Stefan Plewniak
Ingénieur du son : Mateusz Banasiuk

1 cd Erato
Durée 85’

Parution le 24 avril 2024

C’est une version de studio, mais elle a la fougue, l’énergie, la vérité d’une version scénique. Une histoire d’amour et de mort pleine de santé… Ou de sève, pour rester dans le droit fil de son packaging champêtre…

Dans son texte liminaire, Jakub Józef Orliński raconte que chanter Orfeo fut l’un de ses grands rêves quand il était étudiant, rêve qu’il a déjà pu réaliser à la scène trois fois : au TCE dans la mise en scène de Robert Carsen et sous la direction de Thomas Hengelbrock, puis en version semi-scénique lors d’une tournée de concerts avec le Balthasar Neumann Ensemble, et enfin dans une mise en scène de Matthew Ozawa à l’Opéra de San Francisco sous la direction de Peter Whelan.

Autre rêve, celui d’être le co-directeur artistique de cet enregistrement avec son ami de toujours Stefan Plewniak et d’avoir choisi ses partenaires, Elsa Dreisig et Fatma Said, toutes deux parfaites. L’entente est évidente avec Il Giardino d’Amore, l’un des deux ensembles avec lesquels Orliński a un partenariat privilégié (l’autre étant Il Pomo d’oro, complice de son récent récital Beyond). Trente-quatre musiciens sur instruments anciens (dont quatorze vents) et une quinzaine de choristes, il semble bien que ce soit l’équilibre parfait, ni trop, ni trop peu.

Jakub Józef Orliński © Honorata Karapuda

Oui, une authenticité non feinte semble-t-il, c’est bien la grande qualité de cette lecture, avec l’élan et la juvénilité. Le singulier charisme de Jakub Józef Orliński fait le reste, le mordant de sa diction et la présence d’une voix qui a gagné en projection au fil des expériences théâtrales. Tout cela mis au service de l’émotion.

Et qui justifie son ajout à une discographie abondante qui est à elle seule une histoire de l’interprétation. Versions de Vienne ou de Paris, versions d’alto, de ténor, de contre-ténor voire de baryton (Fischer-Dieskau), l’inventaire est sans fin, de Ferrier, Klose, Forrester, Simionato, Verrett, Horne, Bumbry ou Fink, en Gedda ou Simoneau, en Kowalski, Bowman, Chance, Ragin, Jarrousky ou Fagioli (cette dernière que Forum Opera naguère qualifia de nouvelle référence), il y a pléthore de lectures remarquables ou secondaires… ou incongrues. Et côté chefs aussi toutes les écoles sont là, de Monteux et Furtwängler à Solti et Neumann, de Malgoire et Gardiner à Jacobs ou Fasolis…

© Honorata Karapuda

Le souvenir de la scène

Dès ses premiers appels à « Euridice », trois cris de douleur survolant la vaste déploration du chœur, « Ah se intorno a quest’urna funesta », s’impose l’incarnation d’Orliński, ardente et drue, qu’approfondira la longue première scena, depuis l’arioso « Basta, basta o compagni » jusqu’à l’aria « Chiamo il mio ben così » où se déploie la clarté du registre supérieur (le bas médium sur « s’asconde » est toujours un peu frêle), même si la prise de son qui le met au premier plan accentue une émission parfois quelque peu trompetante. C’est un peu plus avant dans l’opéra selon nous qu’il sera à son meilleur.
Mais c’est en tout cas sa manière de s’appuyer sur les mots qui donne son incision à « Euridice, ombra cara » et à cette longue plainte son poids de pathétique.
L’Orfeo d’Orliński a connu la scène et cela s’entend. De surcroît son registre d’alto correspond à la tessiture du rôle. Avec moins de séraphisme que Jarrousky, moins de préciosités virtuoses que Fagioli, il dessine d’emblée un Orfeo théâtral, à fleur de peau, dramatique, intense, extraverti et impose sa respiration, jusqu’aux ornements discrets de la coda.

Stefan Plewniak lui aussi semble prendre ses marques, après une Sinfonia d’entrée menée à un train d’enfer, ce qui en l’occurrence pourrait paraître approprié, mais dont la hâte va au détriment de l’articulation. Mais déjà la noble pulsation du premier ballet, sur son tempo « di minuè » aura donné à entendre la sonorité généreuse d’Il Giardino d’Amore, la richesse de sa palette (de beaux cuivres) et du chœur ici rassemblé (que d’ailleurs la prise de son ou l’acoustique du studio embrument quelque peu).

Fatma Said © Honorata Karapuda

Teatralità

Du goût d’Orliński pour une ardente teatralità (et pour les mots sur lesquels il semble bondir avec une manière de gourmandise), on aura une attestation nouvelle dès le récitatif « Numi, barbari Numi ! », précédant l’apparition de l’Amour, puis dans le long récitatif accompagné « Che disse, che ascoltai ? », d’une vie intense, – et témoignage de la réforme introduite par Gluck et Calzabigi : prime le parole, disent-ils, primauté au texte, autrement dit retour aux origines monteverdiennes du genre opéra.
Dans le rôle de l’Amour, c’est un choix idéal que celui de Fatma Said, dont la musicalité n’a d’égale que la beauté limpide du timbre. Un rôle qu’elle a chanté à la Scala alors qu’elle était une toute débutante (c’était en 2018, dans la version française, avec Florès et Karg) et auquel elle prête de délicieux phrasés, un sourire dans la voix, un timbre lumineux, une grâce qui dans le rondo « Gli sguardi trattieni » semble préfigurer le Mozart de Despina.

Je porte en moi mon propre enfer

Une certaine grâce, c’est aussi ce qui se donne à entendre dans le dialogue d’Orfeo avec les furies et les spectres, qui lui ferment d’abord la porte des Enfers, puis le laissent passer, sous le charme de son aveu « Ho con me l’inferno mio, Me lo sento in mezzo al cor – Je porte en moi mon propre enfer », qu’il leur chante accompagné de sa lyre.
La lumière du timbre suave d’Orliński fait ici merveille, avec ce legato qu’on entendra à loisir dans une sublime aria, « Che puro ciel ! » Cette voix, avec ses effets de transparence, semble porter naturellement en elle l’élégie et l’émotion, qu’agrémentent de souples inflexions toutes de délicatesse. Non moins délicat, l’entrelacement avec elle des flûtes, hautbois et cordes d’Il Giardino d’Amore pour suggérer « le chant des oiseaux, la course des ruisseaux, le murmure de la brise » qu’évoque le livret.

Elsa Dreisig © Honorata Karapuda

Querelle d’amoureux aux Champs Elysées

Très théâtral aussi, tendance tragi-comédie, le dialogue sous forme de récitatif accompagné entre Orfeo et Euridice, qui commence de la façon la plus tendrement lyrique avant de bifurquer dès qu’Euridice s’étonne puis se courrouce des non-regards d’Orfeo, de son refus de l’étreindre et de s’expliquer. Choix non moins judicieux que celui de Fatma Said, celui pour Euridice d’Elsa Dreisig, qui négocie avec piquant le passage du suave au vindicatif, tandis que le pauvre Orfeo louvoie dans le melliflue.
Le quiproquo se résout dans le duo de dépit amoureux, « Vieni, appaga il tuo consorte », un de ces airs qui font avancer l’action et semblent eux aussi préfigurer Mozart.

De plus en plus grinçant, le dialogue débouchera sur l’air très âpre d’Euridice, « Qual vita è questa mai », dont Elsa Dreisig n’hésite pas à donner une lecture expressionniste, osant faire fi parfois de la beauté vocale pour n’être plus que douleur et désespoir, fidèle en cela à l’esprit du texte (la réforme gluckiste à nouveau) : « Je tremble, je chancelle, et je sens, pleine d’angoisse et de terreur, d’affreuses palpitations en mon cœur ». Parfaitement suivie par Stefan Plewniak qui se calque sur sa respiration.
La deuxième partie de l’air, « Che fiero momento ! », qui n’est pas sans rappeler les traditionnels airs di furore de l’opera seria (c’est le seul aria da capo de la partition), lui permettra de se rattraper et de mettre en valeur son répertoire d’agilité, de sauts de notes, de trilles et de vocalises, avec le brio idoine.

© Honorata Karapuda

La suite, on la connaît. Elle supplie qu’il la regarde, il finit pas céder, et aussitôt elle meurt. Le nouveau récitatif accompagné, « Ecco un nuovo tormento », est un autre très beau moment de cet enregistrement, tant il palpite de vie, d’impatience, de désir, puis de désespoir après la mort quasi instantanée d’Euridice. Écriture géniale, et interprétation toute en nerfs, en frémissements, en rapidité, en silences, très incarnée, dont l’agitation rendra encore plus apollinienne la grande déploration d’Orfeo (en ut majeur, chose étonnante mais annonçant peut-être le lieto fine).
Montrant à nouveau que le cantabile est son domaine d’élection, le « Che faro senza Euridice » de Jakub Józef Orliński est évidemment superbe, suspendu, désemparé, avec de longues tenues de notes, un legato sans fin et des demi-teintes impalpables, une fine maîtrise des notes vibrées ou non, et des portamenti, bref beaucoup d’art au service de l’expression, tout cela mis en valeur par un accompagnement d’orchestre à demi lointain, presqu’irréel. Et c’est beau.

Après un ultime ballet (où Il Giardino d’Amore, sous la direction flamboyante de Stefan Plewniak, frôlera l’embardée dans le premier allegro…) viendra le dénouement inattendu (une licence que s’autorisent les auteurs, pour complaire à Marie-Thérèse, présente à la création) : l’Amour rend Euridice à la vie dans un trio final jubilant, une jubilation qui à l’évidence a présidé à cet enregistrement, de là une sève parfois débordante, mais c’est mieux que d’en manquer.

Jakub Józef Orliński © Honorata Karapuda

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