Hier soir, au Théâtre des Champs Elysées, il nous a été donné d’entendre un concert en forme de feu d’artifice vocal, dont le fil conducteur était le plaisir évident de faire de la musique ensemble. Heureuse initiative que de réunir de jeunes chanteurs dans une programme alliant Haendel, Vivaldi et Porpora. Le bonheur, l’allégresse et l’énergie avec lesquels chacun s’est fondu dans ce répertoire, confèrent aux accords et désaccords des cœurs et des émotions humaines beaucoup de profondeur de couleurs, et aussi d’expressivité. Cette osmose de quatre voix dans l’écrin d’une direction intense, mais toute en subtile retenue, de Thibault Noally à la tête de son ensemble Les Accents a, à l’évidence, séduit le public.
Bruno de Sà met d’emblée le feu aux poudres dès l’ouverture du programme, avec « Vorresti a me sul ciglio » extrait de Carlo il Calvo de Porpora, et plus tard avec le pyrotechnique «Trà le follie diverse…Siam navi » de L’Olimpiade de Vivaldi. Le chanteur construit ses personnages scéniques de manière très étudiée, tant sur le plan vocal que sur les codes vestimentaires, entre classicisme et fashion queer, du costume gris clair avec un long foulard stylé porté en cape au tee-shirt à paillettes sous une veste rayée Borsalino. Comme toujours, la théâtralité et les élans vertigineux et spectaculaires de ces airs sont pleinement assumés avec panache et aisance, et le tout dans une chorégraphie toute personnelle. Sur le plan vocal, Bruno de Sà éblouit littéralement par la clarté et l’agilité de son instrument. Il n’y a aucune tension dans cette voix, contrairement à bien des sopranistes, bien que l’on serait davantage tenté d’user du terme « soprano » pour qualifier la voix de Bruno de Sà tant son émission est d’une telle pureté. Le chanteur nous laisse ici en état de sidération, comme à chacune de ses apparitions, tant sa grâce et sa singularité illuminent la scène.
Surprise ! Nous attendions Lauranne Oliva la Révélations des Victoires 2024, dont le nom ne cesse de circuler comme la future étoile scintillante. Et c’est finalement Sophie Junker, qui se présente sur scène en invité inattendue, parée d’une magnifique robe de soirée fuchsia enveloppant dans son drapée, une maternité à venir. A la prime jeunesse, succède ainsi l’expérience, et la soprano que nous retrouvons avec plaisir, est ici égale à elle-même. La voix est charnue à l’ample medium et l’aigu solaire dans les passages les plus vifs. Son « Ama e sospira » d’Alcina a belle et fière allure. Elle sait captiver tant dans l’allégresse que dans la vérité des accents introspectifs de «La Gioa ch’io sento » de Mitridate au coté d’Eva Zaïcik. Comme à son habitude, cette dernière séduit par sa voix pure aux beaux graves, et la belle maitrise des ornements notamment dans « Gelido in Ogni vena » extrait de Farnace de Vivaldi. A fleur de lèvre dans une retenue expressive ou dans des accents enlevés et mordants, elle emporte ici l’adhésion de l’auditeur et l’enthousiasme du public qui l’a gratifiée de chaleureux applaudissements. Elle nous livre également un surprenant duo Sesto/Cornelia « Madre ! Mia vità ! Son nata largrimar » de Giulio Cesare aux coté de Bruno de Sà qui suscite d’emblée le trouble en jouant sur le contraste au-delà des sexes entre le grave de la mezzo et les aigus cristallins du sopraniste.
Christophe Dumaux n’en finit pas, lui aussi, de nous surprendre. Il habite l’air « T’ubbidiro crudele…Fammi combattere » d’Orlando avec un bel abattage, dans le plus parfait style Haendélien. Toutes voiles dehors, il empoigne les mots et transcende sa ligne de chant de rythmes percutants. Les vocalises sont exécutées avec vaillance. Doté d’une énergie centrifuge, le contre-ténor sait toutefois doser ses effets, et servir à merveille la tonalité singulière du superbe « Bramo haver mille vite » d’Ariodante aux côtés de Bruno de Sà avec lequel il entretient ici une complicité teintée de facétie qui fait plaisir à voir. Il atteint un moment de grâce dans le duo avec Sophie Junker, « Ti abbraccio » de Rodelinda dont le raffinement délivré par les deux chanteurs donne ici une parure subtile et émouvante à une étreinte fulgurante en forme d’adieu.
Le concert se termine en beauté avec le trio de Germanico in Germania, « Temi lo sdegnio mio » porté par les timbres moelleux de Bruno de Sà, Sophie Junker, et Christophe Dumaux, lesquels servent à merveille le ton doux amer, presque ironique, de cet air d’opera seria. Le trio se transformera en quatuor, avec le retour sur scène d’Eva Zaîcik, pour gratifier le public de bis afin de prolonger cette réjouissante fête vocale.
L’accompagnement des Accents est au diapason des voix, grâce à l’approche de Thibault Noally, attentif à toutes les nuances et aux contrastes. L’ensemble, toujours très équilibré, déploie une grande intensité mais sans emphase inutile, dans une exécution particulièrement élégante. Thibaut Noally fait montre d’une belle virtuosité au violon dans le Concerto pour violon en ré majeur, RV 212a de Vivaldi. Quand l’inspiration rencontre l’énergie, elle donne une parure étincelante à l’étreinte fulgurante des exaltations des sentiments humains portées par ce répertoire. Quelle belle soirée !