C’est une véritable fête que le public a réservé aux artistes et aux artisans de la production de de L’Enlèvement au Sérail de Mozart, à l’Opéra Royal de Versailles, enthousiasmé par une mise en scène où les chanteurs sont bien mis en valeur et la musique magnifiée par un spectacle où plaisir et badinage font bon ménage avec une réelle dimension spirituelle. Michel Fau en est le metteur en scène hors pair, capable de passer de Molière à André Roussin et de Mozart à Alban Berg (sublime Wozzeck à Toulouse).
Pour cette « turquerie » mozartienne qui parait inspirée de l’opéra-comique français, il a choisi judicieusement la traduction du dramaturge Pierre-Louis Moline (1739-1820) dont la prosodie s’insère à merveille dans la musique de Mozart. Moline, né l’année où Voltaire écrit son Mahomet, prend de savoureuses libertés, dans les dialogues, avec le livret allemand et inscrit résolument la comédie dans le Siècle des Lumières en lutte contre l’absolutisme et l’intolérance (religieuse notamment), ce qui nous interpelle tout au long de la soirée. Moline fait ainsi du Pacha Selim, interprété par Michel Fau, un despote chrétien récemment converti à l’islam et de la servante anglaise, Blonde, une ardente féministe qui s’affronte, avec vaillance et espièglerie, au gardien du palais, le « mahométan » Osmin, en plaidant pour la libération de la femme en terre d’islam ! Évidemment, comme souvent chez Mozart, la clémence est au rendez-vous quand le Pacha accorde finalement la liberté à ses esclaves « européens » (sic) qui tentaient de s’enfuir. Dans une tirade lyrique et désopilante, il raille son pouvoir et devient libre penseur. Michel Fau a, alors, l’idée géniale de le faire s’envoler, lors du chœur final, sur un tapis volant qui l’emporte au plus haut des cintres !
La scénographie est de toute beauté. Pour le palais du Pacha, qui semble immense sur le plateau restreint de l’Opéra Royal, le chef décorateur de cinéma Antoine Fontaine s’est inspiré de l’architecture mauresque aux couleurs fulgurantes et des décors en fausses perspectives du théâtre baroque. Tel un protagoniste de l’opéra la structure se meut et s’incline pour donner la forte impression d’enfermement qui s’abat sur les personnages. Les éclairages sophistiqués de Joël Fabing recréent l’ambiance des théâtres du XVIIIe siècle par un jeu de lumières en contre plongée issues de la rampe d’avant-scène ou des cintres. Le magnifique quatuor du 2e acte devient ainsi une sorte de théâtre d’ombres quand les silhouettes des personnages semblent projetées sur le décor. Enfin les costumes chatoyants et éclatants de David Belugou, brillant complice de Michel Fau, flamboient dans ce décor.
La distribution est homogène. La jeune soprano canadienne Florie Valiquette est une Constance remarquable à la voix dense et chaleureuse. Grande tragédienne, elle se joue des difficultés de ce rôle écrasant avec une aisance confondante. Au deuxième acte, elle est bouleversante dans le célèbre air « Marten aller Arten » (« des supplices de toutes sortes… »). La servante Blonde est la pétillante soprano belge Gwendoline Blondeel, comédienne dans l’âme et son amoureux Pédrille trouve dans Enguerrand de Hys, ténor léger au timbre séduisant, un interprète idéal, acteur raffiné à la fois comique et touchant. Mathias Vidal chante les airs de Belmonte d’une voix claire et sonore (quels beaux piani !) dont l’émission doit encore gagner en souplesse. Quant à la voix de basse veloutée de Nicolas Brooymans, elle sied comme un gant au faux méchant Selim dont la cruauté n’est que bouffonnerie. Enfin, Gaétan Jarry fait feu de tout bois à la tête du chœur et des musiciens très investis de l’orchestre de l’Opéra Royal. Un spectacle idéal pour l’Opéra Comique à Paris !