Après son hommage à Pauline Viardot, couronné d’un Swag par notre rédaction, Marina Viotti nous propose un « Mezzo Mozart », à l’intitulé un rien anachronique, cette dénomination n’ayant vraiment été utilisée qu’à partir du début du 19e siècle. Pour Mozart, les créateurs des rôles ici présentés étaient en effet des musico (le castrat alto Manzuoli, créateur du rôle-titre d’Ascanio in Alba), voire des primo uomo (Venanzio Rauzzini, dédicataire de l’Exsultate, jubilate), ou, pour les femmes, tout simplement des sopranos (Dorotea Bassani, première incarnation à la scène de Cherubino). L’album est ainsi l’occasion pour la cantatrice de mettre en valeur une voix étendue qui, comme elle l’écrit dans le livret accompagnant le CD, « couvre une large tessiture, du grave à l’aigu, qui est flexible, une voix qui peut être colorature ou lyrique et qui offre une large palette. ».
Dès les premières notes de l’album, une impression de naturel et d’harmonie parfaite avec ce répertoire transparaît. Marina Viotti, sans jamais céder à l’afféterie, mais toujours avec une subtile finesse (comme en témoigne la beauté des ornementations), parcourt cette galerie de personnages et d’arias avec une aisance remarquable. La voix de la cantatrice se déploie pleinement des graves (« Venga pur, minacci e frema » de Mitridate) aux aigus, même si ceux-ci ne sont pas exempts de quelques tensions (en revanche les contre-ut couronnant la fin de l’Exultate, jubilate sont glorieux). Quel bonheur par ailleurs d’entendre une Susanna pleinement ancrée dans le grave et au legato somptueux. La virtuosité est impeccable, mais jamais inutilement démonstrative : tout aussi parfaits sont par exemple les triolets finaux de l’air de Sesto dans La Clemenza di Tito ou les sauts de registre du « Laudamus te » extrait de la Messe en ut. L’incarnation n’est pas en reste : le même « Venga pur » du prince Farnace est électrique, le « Smanie implacabili » de Dorabella possède toute l’agitation et l’intensité nécessaires, tandis que la tendresse du « Voi che sapete » de Cherubino est un véritable délice.
L’air de concert « Ch’io mi scordi di te … Non temer, amato bene », écrit comme une lettre d’amour par Mozart pour Nancy Storace, constitue sans doute le sommet du disque. Marina Viotti s’y joue des difficultés dont l’air est parsemé pour mieux en révéler les déchirantes interrogations (« perchè mai tanto rigor ? », « tu sospiri ? »). Elle y est magistralement accompagnée par le pianoforte obbligato de Sebastian Wienand, virtuose et inventif. On rangera cette interprétation au plus haut, aux côtés de celles de Cecilia Bartoli et Teresa Berganza.
Remarqué au disque dans une excellente intégrale avec Alexis Kossenko des Concertos pour flûte de Mozart, l’ensemble Gli Angeli Genève brille par de superbes couleurs et un investissement sans faille. La direction de Stephan MacLeod est alerte (jolis effets Sturm und Drang dans La Finta Giardiniera) et sensible (belles couleurs dans le récitatif accompagné de Susanna).
Quelques regrets toutefois à l’écoute de ce disque ? Connaissant le tempérament de feu de la cantatrice, on pourrait la trouver presque un peu trop sur la réserve, par exemple dans le « Va’ pure ad altri in braccio » de La Finta Giardiniera. Un léger bémol également sur le programme : s’il faut louer la magistrale interprétation de l’Exsultate, jubilate, on aurait également préféré trouver des titres moins enregistrés, comme des airs de concert ou, pourquoi pas, d’autres personnages que Marina Viotti interprétera peut-être à l’avenir (Donna Elvira par exemple ?). Menues broutilles au final pour un disque réjouissant !