Baryton ou ténor ? Michael Spyres se plaît à flatter l’ambiguïté d’une voix dont on ne sait que dire de plus à trop en avoir parlé.
Baryton, l’essentiel du programme de ce premier récital parisien – Mozart par deux fois, Rossini, et aussi de manière inattendue une partie des Nuits d’été, dût le changement de tessiture entre les numéros rompre l’unité du cycle et la poésie du « Spectre de la rose » se diluer dans une eau sombre. Abordé pour la première fois en concert, le chef-d’œuvre mélodique de Berlioz est galop d’essai qu’il conviendra de transformer. Un enregistrement est prévu, chez Warner Classics évidemment. Le Comte des Noces, lui, survient d’emblée. D’un regard, d’un geste, de la façon dont la note est mordue dans un italien sans bavure, le personnage se dresse arrogant, rageur, évident. Figaro aurait pu moins surprendre. Spyres l’a déjà étrenné face aux caméras de télévision lors des dernières Victoires de la Musique. Le factotum n’en est que plus irrésistible, en voix de basse ou de fausset pour contrefaire le cavalier impatient ou la précieuse forcément ridicule, le tout dans un débit étourdissant, agrémenté d’œillades, de coups de manche histrioniques en accord avec une musique dont on mesure plus que jamais la force comique. L’aubade de Don Giovanni en paraîtrait presque fade si Ramiro ensuite ne confirmait l’incroyable versatilité de l’artiste – et ne rappelait au passage l’excellence de son français.
Ténor, « Absence », toujours dans Les Nuits d’été, avec ces « reviens » hypnotiques, à chaque fois variés, lancés à pleine poitrine ou exhalés en voix mixte, et le Postillon de Lonjumeau dressé sur son contre-ré comme un coq sur ses ergots, puis en bis, Tonio dans La Fille du Régiment. Longtemps considéré comme un exploit avant que ces dernières années, bon nombre de chanteurs fiers de leur contre-ut l’agrafent à la boutonnière, l’air semble ici jeu d’enfant.
© Cédric Le Dantec / Agence Supernova
Ténor ou baryton ? Michael Spyres pour ne pas céder à la schizophrénie a tranché : baryténor, affirme-t-il. Au fond, quelle importance car ce qui compte, et ce que donne à vivre cette soirée, réside en la performance vocale – indéniable, exceptionnelle, phénoménale – autant qu’en la prouesse scénique : l’accomplissement artistique d’un chanteur capable de se couler avec une aisance confondante dans n’importe quel rôle comme dans n’importe quelle partition, sans ne jamais renier sa personnalité. Et avec ça, pas diva pour un sou, naturel, jovial puis ému aux larmes lorsque le public debout manifeste son admiration.
Un mot encore pour louer le format du récital – Salle Gaveau, idéale dans la configuration voix piano – : pas d’entracte ; un programme judicieusement réparti entre mélodie et opéra ; deux pièces instrumentales en guise de respiration – c’est le moment de souligner quel pianiste et quel accompagnateur admirable est Mathieu Pordoy – ; une heure et demie de bonheur. En ces temps postpandémiques où l’on cherche à tâtons le monde d’après, l’Instant Lyrique a trouvé la bonne formule. Prochain rendez-vous : jeudi 18 novembre, Marle-Nicole Lemieux. Les absents pourraient une nouvelle fois ne pas avoir raison.