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MOUSSORGSKI, Boris Godounov – Avignon

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Spectacle
18 juin 2024
Malheur à la Russie, pleure, peuple russe (l’Innocent)

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Modeste Moussorgski

Boris Godounov

Opéra en sept tableaux

livret du compositeur, d’après la tragédie de Pouchkine

permière version (1869), refusée par le Comité de lecture des théâres impériaux

première représentation en 1928

Détails

Mise en scène 

Jean-Romain Vesperini
Assistante à la mise en scène 

Olga Paliakova
Scénographie 

Bruno de Lavenère
Costumes, réalisés par l’Atelier de l’Opéra Grand Avignon

Alain Blanchot
Lumières 

Bertrand Couderc reprise Simon Anquetil
Création vidéo

Etienne Guiol reprise Frédéric Audrin
Etudes musicales 

Kira Parfeevets

 

Boris Godounov 

Luciano Batinic
Feodor 

Estelle Bobey
Xenia

Lysa Menu
La Nourrice / L’Aubergiste 

Svetlana Lifar
Le Prince Vassili Chouïski / Missaïl 

Kresimir Spicer
Andreï Chtchelkalov 

Jean-François Baron
Pimène

Nika Guliashvili
Grigori

François Rougier
Varlaam / Mitioukha

Alexander Teliga
L’Innocent 

Blaise Rantoanina
Nikitich / Pristav 

Linfeng Zhu
Un boyard / Une voix dans la foule

Julien Desplantes

 

Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Maitrise de l’Opéra Grand Avignon

Orchestre national Avignon-Provence
Direction musicale
Dmitry Sinkovsky

Avignon, Opéra, le 14 juin 2024, 20h

 

 

La réalisation coproduite avec Monte-Carlo (où elle était créée en 2021) avait donné lieu à un compte-rendu : Un Boris de Grand Prix (1). La mise en scène de Jean-Romain Vesperini arrive en Avignon.

La distribution en est totalement renouvelée, à l’exception du truculent Varlaam d’Alexander Teliga. Longtemps négligée, la version première, de 1869, âpre, ascétique, connaît une faveur constante, et l’on n’entend plus guère la révision de Rimsky-Korsakov, qui révéla Boris Godounov. Il faut oublier le Boris de 1872, avec l’acte polonais, il faut oublier la flamboyance de l’orchestration de Rimsky-Korsakov pour apprécier. Il faut oublier aussi l’ambigüité de Boris (coupable et/ou victime ?) (2) Les résonances contemporaines, évidentes, ne donnent lieu à aucune exploitation, cependant, le spectateur ne peut éviter la mise en perspective de l’histoire du pouvoir en Russie, et de son rapport au peuple, comme une réflexion amère sur la servilité des masses. La lecture proposée par Bruno de Lavenère est fidèle, littérale, mais réductrice, bridée, pour un cadre spectaculaire d’une constante beauté. En effet, la dramaturgie, sans nuance, repose sur le postulat de la culpabilité de Boris. Avant même que la première note soit chantée, il est désigné comme coupable, faisant face à un œil gigantesque qui renvoie au meurtre d’Abel. Le programme de salle (3) le qualifiait déjà de criminel, dans un réquisitoire sans appel. La mise en scène fait apparaître à trois reprises Dimitri, l’enfant de blanc vêtu, ou son ombre, qui accable d’autant Boris. Or la force dramatique de l’ouvrage, centré sur la personnalité du tsar et sa relation au peuple, prend sa source dans l’ambiguïté qui plane sur la mort de cet enfant.

Véritable défi pour une scène dont le budget est sans commune mesure avec celui des « grandes » maisons que de monter cette œuvre monumentale, exigeante, gigantesque par les moyens mobilisés, le nombre des solistes, les chœurs. Avignon, avec et après Monte-Carlo, l’a relevé et largement répondu aux espérances. Le spectacle est magistral, d’une constante beauté, d’une richesse visuelle exceptionnelle : décors, costumes (4), lumières, projections concourent à ce plaisir esthétique permanent. Ici le faste et la littéralité intelligente se conjuguent. Vivent les conventions lorsqu’elles participent pleinement à notre bonheur ! Les projections, du Christ pantocrator, de la forêt qui s’enfonce, puis se rapproche, du fond de scène qui se fissure de rouge, dont le réseau se densifie et s’anime participent à la magie du spectacle.

Deux registres superposés traduisent deux mondes parallèles, la populace en bas, l’aristocratie en haut. Seule scène où tout l’espace est occupé par un décor unique : la cellule de Pimène, où Grigori apprend qu’il a l’âge qu’aurait l’enfant défunt. Le jeu de contrastes, de fusion, de correspondances entre les niveaux est utilisé avec intelligence. Unique réserve : les scènes intimes entre Boris et ses enfants sont privées de la tendresse paternelle, puisque distanciées dans chacun des registres. Détail : amplement développée dans la version ultérieure, la géographie de Féodor ne connaît aucune illustration visuelle, à la différence du texte de la chronique de Pimène, projeté sur le mur de sa cellule. Malgré certains mouvements convenus, dépourvus de naturel, notamment dans les chœurs, qu’ils soient le peuple ou les boyards, la direction d’acteurs est efficace, pertinente.

© Studio Delestrade

Pour Boris, Luciano Batinic, que l’on découvre. C’est un beau baryton héroïque, dont on oublie vite le vibrato du monologue de la scène du couronnement. L’émission est ample, bien timbrée, aux couleurs nobles. Sans jamais recourir aux exclamations, râles et soupirs hérités de Chaliapine, son humanité nous bouleverse particulièrement dans son monologue devant les boyards, d’une absolue sincérité, avant que Chouïski les rejoigne. Sa solitude, sa détresse, desservis par la lecture dramatique choisie, les hallucinations, soulignées par l’ombre grandissante de l’enfant, l’apparition ultime de ce dernier sur le cadavre du tsar méritaient certainement un autre traitement. Kresimir Spicer incarne Chouïski, mais aussi Missaïl le défroqué. Si l’émission est ouverte, colorée, avec de beaux phrasés et du mordant, si la voix est virile, ardente, variant les expressions, le jeu est en-deçà des attentes. Le récit du « miracle » est vocalement abouti, mais les insinuations peu crédibles. On perçoit mal la duplicité derrière la noblesse, la fourberie onctueuse du premier, on ne reconnaît pas l’intrigant « meneur de la foule sans cervelle ». Pimène (Nika Guliashvili), n’est pas davantage un pur, un illuminé qu’un manipulateur complice de Chouiski (5). La voix est ronde, sonore, admirable, mais dépourvue des stigmates de l’âge, comme le maintien et l’expression. Malgré ses incontestables atouts vocaux, on peine à croire dans cet alerte diacre auquel la noblesse grave et recueillie relève de la composition.

Grigori est bien campé par François Rougier, novice gagné par une ambition sans scrupules. La voix est sonore, claire, et tant dans sa scène avec Pimène que dans sa fuite en Lituanie, le jeu et l’émission, jeunes, sont convaincants. Il faut saluer Alexander Teliga, Mitioukha, puis, surtout, Varlaam, ivrogne, truculent dans ses interventions, dont la prise de Kazan mais aussi sa seconde chanson, en contrepoint de l’Aubergiste et de Grigori, sont des réussites incontestables. La voix est grasse et la gouaille énivrée rendue avec justesse. Svetlana Lifar a l’abattage et la verdeur populaire de l’Aubergiste (on regrette que cette première version nous prive de sa chanson du canard bleu), comme l’affection de la Nourrice. La voix est solide, bien projetée, colorée, articulée à souhait. Estelle Bobey au mezzo serré qui convient pour une voix infantile, nous vaut un remarquable Féodor. Xénia, Lysa Menu, charmante, nous laisse indifférent dans sa déploration sur la mort de son fiancé. Non que la voix soit dépourvue de qualité, tant s’en faut, mais l’expression et le jeu appelaient bien davantage. Sans doute l’absence physique de Boris (relégué dans le registre scénique inférieur) en est-elle une cause. Une mention spéciale pour l’Innocent remarquable que nous offre Blaise Rantoanina : voix haut perchée, d’une belle longueur, bien conduite, l’expression juste de l’illuminé. Les interventions de Jean-François Baron en Chtchelkalov s’avèrent bienvenues, malgré une émission dont les aigus sont faibles. Les rôles secondaires sont bien défendus par deux chanteurs membres du chœur.

Le peuple, dévot, servile, manipulé, ingrat comme haineux, aurait-il foncièrement changé ? Le Chœur et la Maîtrise de l’opéra participent à l’émotion comme à la théâtralité. Ils se montrent exemplaires de précision, de justesse et de nuances. On attendait cependant davantage de plénitude dans les implorations et prières. L’orchestre national Avignon-Provence brille dans cette partition sombre, amère, cuivrée, mais aussi délicate (merveilleux accompagnement, diaphane, de la mort de Boris). Le chef nous vient de Novgorod, qui fut la seconde ville de Russie sous Boris, à mi-chemin entre Moscou et Kazan, dont il est question à deux moments. La direction de Dmitry Sinkovsky (6), soignée, attentive, précise, creuse la partition, tout en pêchant parfois par des tempi soutenus, trop rapides (le chœur dans la scène du couronnement). Mais l’ensemble est intelligemment construit, les récits conduits avec souplesse et naturel. La chaleur lyrique est bien là, comme le souffle épique.

(1) La captation de Monte-Carlo est visible sur YouTube.
(2) Loin des clichés réducteurs, la personnalité de Boris, et l’éclairage historique de son règne, parfaitement compatibles avec la tragédie de Pouchkine comme avec le livret de Moussorgsky, donnent un relief singulier à l’opéra : Boris Godounov et Dimitri, un fake qui a changé l’histoire russe ? 
(3) Indigent et fallacieux, se contentant d’un « argument » fondé sur la version révisée, avec l’acte polonais, absent ce soir. 
(4) Signés Alain Blanchot et réalisés par l’atelier de l’opéra d’Avignon. Tout juste aurait-on souhaité que le lieutenant et ses hommes, dans la scène de l’auberge, ne puissent être confondus avec les exempts moscovites du premier tableau.
(5) Très loin du personnage singulier mis en scène par Petrika Ionesco , en 1984 à Garnier, repris à Liège 2010, puis à Marseille 2017. Mais aussi éloigné de l’image conventionnelle du vénérable moine chroniqueur.
(6) Chef singulier s’il en est, un phénomène, apprécié comme violoniste et altiste soliste, mais surtout comme spécialiste de la musique baroque dans son pays.

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Modeste Moussorgski

Boris Godounov

Opéra en sept tableaux

livret du compositeur, d’après la tragédie de Pouchkine

permière version (1869), refusée par le Comité de lecture des théâres impériaux

première représentation en 1928

Détails

Mise en scène 

Jean-Romain Vesperini
Assistante à la mise en scène 

Olga Paliakova
Scénographie 

Bruno de Lavenère
Costumes, réalisés par l’Atelier de l’Opéra Grand Avignon

Alain Blanchot
Lumières 

Bertrand Couderc reprise Simon Anquetil
Création vidéo

Etienne Guiol reprise Frédéric Audrin
Etudes musicales 

Kira Parfeevets

 

Boris Godounov 

Luciano Batinic
Feodor 

Estelle Bobey
Xenia

Lysa Menu
La Nourrice / L’Aubergiste 

Svetlana Lifar
Le Prince Vassili Chouïski / Missaïl 

Kresimir Spicer
Andreï Chtchelkalov 

Jean-François Baron
Pimène

Nika Guliashvili
Grigori

François Rougier
Varlaam / Mitioukha

Alexander Teliga
L’Innocent 

Blaise Rantoanina
Nikitich / Pristav 

Linfeng Zhu
Un boyard / Une voix dans la foule

Julien Desplantes

 

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Avignon, Opéra, le 14 juin 2024, 20h

 

 

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