Le festival de Ravenne prouve une nouvelle fois son éclectisme en accueillant Nina, « portrait mimétique » de l’artiste et activiste américaine Nina Simone, dans son joli théâtre à l’italienne. Les parisiens ont pu découvrir le spectacle l’an passé dans le cadre de l’édition 2023 du Festival d’Automne.
Luigi de Angelis et Chiara Lagani – respectivement metteur en scène et autrice/dramaturge – collaborent à Ravenne depuis plus de vingt ans sous le nom de Fanny & Alexander. Ils travaillent à la croisée du théâtre, des arts visuels, de la musique, du cinéma et de la littérature.
Ils appuient cette biographie musicale sur la technique de l’hétérodirection – remote acting en anglais. Comme le précise le metteur en scène, « l’hétérodirection permet de se connecter à une personnalité disparue grâce à sa voix enregistrée. L’interprète entend dans ses écouteurs la voix d’autrui et crée l’illusion de sa présence à travers sa propre voix et son corps. Il n’est jamais question d’imitation mais d’une véritable juxtaposition : la voix agit dans l’interprète comme un élément chimique qui transforme son corps. L’interprète devient une antenne, un réceptacle ».
L’artiste lyrique Claron McFadden s’empare du procédé avec un naturel confondant, restituant le phrasé de la chanteuse, sa rythmique si particulière, son articulation des syllabes – y compris lorsqu’elle parle – de manière extrêmement crédible. La voix est belle, le poitriné puissant, bien projeté, n’essaie pas d’imiter au premier degré mais évoque avec justesse l’univers physique et musical de sa compatriote.
Nous nous trouvons projetés au festival de Montreux, en 1976, lors de ce concert où Nina Simone, rompant avec le rituel obligé de l’exercice, se mit à parler de sa vie.
Sur scène, à cour, quelques djembés ; à jardin, un piano à queue qui joue sans interprète un extrait des variations Goldberg. Les touches qui s’enfoncent seules ont toujours quelque chose de magique qui convoque le fantôme de leur interprète.
Avec ces instruments, très sobrement, est ainsi posé le double héritage de la musicienne. Les belles lumières créent une ombre portée du piano sur l’ensemble du fond du plateau, comme pour dire, mieux qu’en mots, que de son propre aveu, Nina Simone aurait voulu être « la première pianiste classique américaine noire ».
Le spectacle intercale chansons et entretiens politiques centrés sur le combat pour les droits civiques. Le résultat est d’une grande fluidité, la superposition des textes s’avère quasi imperceptible. Le travail sur le son – reverb sur la voix, distorsion ou saturation de l’accompagnement… – apporte une étrangeté qui modifie la qualité de l’air dans la salle et rend le parcours de Nina Simone particulièrement attachant. Une gravité suspendue accompagne les chansons interprétées quasi à cappella, notamment celles qui évoquent l’esclavage. C’est une âme mise à nue qui chante ici, sans faux-semblants. D’ailleurs, c’est au moments des saluts, après les bis, que l’excellente Claron McFadden, reprenant possession d’elle-même, nous livre enfin son premier vrai – et éclatant – sourire.