Jean-Michel Verneiges, directeur du Festival de St Michel en Thiérache, a eu l’idée tout à fait originale de consacrer la troisième série de concerts du dimanche 16 juin aux musiques hispaniques et luso-brésiliennes qui restent encore à découvrir. C’est l’ensemble L’Achéron dirigé par François Joubert-Caillet (guitares, violon, harpe, archiluth et percussion) qui lève le rideau avec des villancicos de la Renaissance portugaise issus des Cancioneiros de Paris et d’Elvas (XVIe siècle), chants populaires à la fois profanes et religieux interprétés avec beaucoup de piquant par l’excellente soprano brésilienne Luanda Siqueira. Ces villancicos se mêlent durant le concert à des danses chantées afro-brésiliennes très anciennes comme le lundu et le jongo, mâtinés au XVIIIe siècle de fandango hispanique, genres fondateurs de la musique populaire du Brésil dont Luanda Siqueira exprime avec justesse la sensualité et l’humour. Suivent des modinhas, airs lyriques inspirés du bel canto italien, très en vogue au XIXe siècle au Portugal et au Brésil, dans lesquelles la voix de la soprano s’épanouit vraiment (à ce titre, certains chants populaires du programme, souvent trop graves, mériteraient d’être transposés). Après des fados portugais du début du XXe siècle et un détour par Macao et Goa, les musiciens, tous remarquables, s’en donnent à cœur joie dans les Folías gallegas et un Cumbé afro-brésilien composés au XVIIIe siècle par l’espagnol Santiago de Murcia (qui, semble-t-il, aurait aussi vécu au Mexique). Enfin, cerise sur le gâteau, le concert s’achève par un clin d’œil humoristique à la samba (descendante du lundu !) avec une version délicieusement baroque du célèbre Você abusou des Brésiliens Antônio Carlos et Jocafi (en 1971) que Michel Fugain avait rendu populaire en France (« Fais comme l’oiseau »). Ce qui frappe dans la plupart de ces œuvres c’est le profond sentiment de saudade qui s’en détache, ce mélange de nostalgie et d’espérance tellement luso-brésilien.
Puis, suivant un rite bien rodé, public et artistes déjeunent au réfectoire avant le second concert donné, ce dimanche, devant l’autel de l’abbatiale par le claveciniste Paolo Zanzu. Entre les œuvres, il nous décrit à merveille, en quelques mots, l’Espagne du XVIIIe siècle, celle de Domenico Scarlatti surtout dont il souligne finement, dans les sonates, les emprunts à la musique populaire, avant de nous faire découvrir un véritable chef-d’œuvre, une sonate inédite de David Pérez, d’origine espagnole, né à Naples en 1711 et connu surtout pour ses opéras. Le récital s’achève par une étourdissante interprétation du fameux fandango attribué au Padre Antonio Soler. Virtuosité sans faille de Paolo Zanzu qui se taille un franc succès.
© Luminita Lecaux
Le public, se déplace alors dans la nef de l’abbatiale pour le dernier concert donné par le Poème Harmonique de Vincent Dumestre qui nous ramène à l’Espagne du XVIe siècle, celle de Miguel de Cervantes dont l’œuvre fourmille de musiques populaires à l’exemple de celles du programme. L’Espagne aussi de Juan del Encina, à la fois écrivain et compositeur, dont l’ensemble interprète les villancicos et autres polyphonies profanes dans lesquelles le quatuor vocal réuni par Vincent Dumestre (quelle belle homogénéité !) sait passer de l’exubérance du chant de carnaval à l’émotion contenue du bouleversant Triste España. A noter les belles versions des chaconnes (venues dit-on du Mexique). Vincent Dumestre a eu l’heureuse idée de faire de son concert une véritable représentation théâtrale (Juan del Encina était un éminent dramaturge) les chanteurs étant tous, de surcroît, des comédiens nés, notamment le contre-ténor vénézuélien Fernando Escalona Meléndez, à la voix superbe. Excellent narrateur, il esquisse même avec humour des pas de danse tout à fait bienvenus. Il entraîne dans son sillage les barytons Imanol Iraola et Romain Bockler et le ténor Paco García dont les voix généreuses peuvent s’épanouir, à qui mieux mieux, dans un final plein d’humour imaginé par Vincent Dumestre et un de ses musiciens : un arrangement de la chanson de 1935 « Piensa en mí » du mexicain Agustín Lara que Luz Casal interprétait dans un film d’Almodóvar. La harpiste Sara Águeda Martín se joint même à eux avec la gouaille d’une chanteuse de ranchera mexicaine