Alors que la France est en proie au doute, que l’Europe retient son souffle, et que s’affrontent précisément les représentants des trois blocs aux prochaines législatives, une salutaire IXe, allègre bi-centenaire, nous permet d’échapper au tumulte médiatique et de reprendre confiance en l’homme. Symbole de paix et de fraternité universelle, le chef-d’œuvre novateur de Beethoven constitue toujours une sorte de défi majeur à ses interprètes, au chef-architecte comme aux instrumentistes, choristes et solistes. Giuseppe Grazioli ne le cache pas, dans un entretien juste avant le concert. Devant son orchestre et son chœur, il a réuni un quatuor de solistes dont c’est vraisemblablement la première rencontre, tant entre eux qu’avec le redoutable ouvrage, et l’on est impatient de les écouter.
Le geste du chef est souple, ample, précis et démonstratif, impérieux comme caressant. Il imprime sa marque, soucieux de chacun. Les tempi sont soutenus, les éléments dynamiques soulignés avec constance, mais Allegro « ma non troppo, un poco maestoso », « molto » adagio… aurait-il négligé ces qualificatifs, dans le droit fil de ce que faisait Toscanini il y a si longtemps ? C’est construit, clair, nerveux, inexorable, avec le souci constant de maintenir le tempo, à la pulsation isochrone. Même si on attendait parfois davantage de lyrisme et de respiration, la conduite des phrasés est attentive, les récitatifs sont bien intégrés pour un discours expressif et juste. L’orchestre est pleinement engagé, ductile, précis, énergique. La petite harmonie souffre quelque peu de son placement traditionnel, le fruité des bois fait défaut, d’autant que les passages où les cordes font du remplissage (harmonique et rythmique) déséquilibrent leur fonction. C’est essentiellement dans le molto adagio, où – ponctuellement (première variation) – ils chantent à découvert, que l’on en apprécie l’émission.
L’ample premier mouvement, clair, construit, est d’une vigueur assurée, d’une dynamique constante. Dionysiaque, le souffle est bien là, sinon la majesté. Les progressions sont conduites avec soin et nous emportent. La cantilène de l’adagio avance, jamais mièvre ou affectée, alla Tchaïkovsky. Si la douceur et la sérénité sont indéniables, la tendresse pudique, le lyrisme sont mesurés. Le scherzo se mue en une sorte de chevauchée inexorable, enflammée, dont l’élan ne se dément jamais. Le finale est vigoureux et lumineux, dépourvu d’agressivité malgré son élan irrépressible. Le prestissimo ultime, préparé de loin, cinglant, est exalté et appellera de longues acclamations d’un public enthousiaste.
Le chœur, que l’on a toujours apprécié dans les œuvres lyriques de la scène stéphanoise, n’est pas au meilleur de sa forme. C’est en place, réactif, précis, mais appliqué, un peu scolaire (le nez dans la partition) dans un allemand approximatif. Les sopranos, dans leur longue et périlleuse tenue, fortissimo du la aigu («Welt ») s’y montrent tendues, stridentes. Manque de services certainement. Le meilleur, la révélation de la soirée, réside dans le quatuor de solistes, équilibré, animé d’une joie ivre, fraîche et tonique. L’heureuse surprise commence avec le récitatif du baryton, Florent Karrer, dont l’émission noble, bien projetée, sans affectation, se double d’une conduite exemplaire de la ligne et d’un allemand irréprochable, intelligible. Elle se poursuit avec l’énoncé en duo de la seconde strophe, Julien Henric, dont le chant bien timbré, sonore et agile nous ravit. L’entrée des femmes ajoute encore à cette suprême beauté : Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, puis la trop rare Marion Grange – que l’on n’attendait pas dans ce répertoire – s’y révèlent superlatives d’aisance, y compris dans les aigus redoutables de la soprano. La coda (allegro ma non tanto) ne fera que confimer ce bonheur, cette plénitude radieuse, que l’on gardera précieusement en mémoire.