Centre d’excellence consacré au Lied, le Heidelberger Frühling Liedzentrum a pour ambition de promouvoir le genre par l’organisation de concerts, mais aussi par la formation des jeunes chanteurs, que ce soit via le Concours « Das Lied » ou la Liedakademie dirigée par Thomas Hampson. Autre émanation du Liedzentrum, le Heidelberger Frühling Liedfestival offrait une programmation où chanteurs confirmés et étudiants se retrouvaient pour interpréter, questionner, réinventer le Lied. Ainsi, à côté de plusieurs masterclass publiques dispensées par Thomas Hampson, le Lied.LAB – forme de performance-promenade-concert conçue par Teodora Oprișor (alumnus de la Liedakademie) – répondait à une dynamique expérimentale, tandis que le concert de clôture du festival clôturait comme en apothéose cette grande fête du Lied.
Dans le cadre singulier du Völkerkundemuseum, charmant îlot niché entre la vieille ville et le Neckar, le Lied.LAB consistait en une déambulation musicale dans un musée où les animaux fantastiques évoqués au répertoire dialoguaient tantôt avec les animaux singuliers – inventés, transformés – peuplant le bâtiment, tantôt avec de vrais oiseaux qui, dans le jardin, apportaient un contrechant harmonieux. Heureux hasard. Guidé dans le musée au son étonnant de la flûte de pan (Amalia Nicolau), le public rencontrait un vaste bestiaire où se côtoyaient Ravel, Barber, Debussy, Schubert, Schumann, Wolf, Offenbach, Mahler, Mendelssohn…. Accompagnés tantôt au piano (Jong Sun Woo et Teodora Oprișor), tantôt à l’accordéon (Nico Gutu), Katja Maderer (soprano) et Giacomo Schmidt (baryton, alumnus de l’Académie) formaient des guides et des musiciens convaincants, tant sur le plan vocal que sur le plan expressif. Le baryton en particulier, outre un timbre texturé et prometteur, se distinguait par une approche narrative particulièrement aboutie et une prononciation du français irréprochable (ce n’est pas sa langue maternelle).
Le concert de clôture de la Liedakademie marquait en même temps la fin du Liedfestival, signe de la place centrale que ce dernier accorde à la formation des jeunes chanteurs et chanteuses. Du reste, si des masterclass étaient dispensées au cours du festival, le travail de la Liedakademie n’est pas restreint à la durée du festival mais occupe les étudiants une année entière. Aussi, ils ont l’occasion d’aborder le Lied dans une complexité qui inclut les aspects musicaux et des aspects historiques ou littéraires, permettant ainsi une interprétation au sens le plus complet du terme.
Lors de ce concert, intitulé « Heidelberger Wunderhorn », trois sopranos (Aiko Bormann, Michèle Bréant et Leonie Paulus), quatre mezzosopranos (Luzia Ernst, Catalina Geyer, Sina Günther et Maria Tilibtsev), un baryton (David Kennedy) et trois pianistes (Anna Gebhardt, Lucas Huber Sierra et Wan-Yen Li) ont gratifié le public d’un programme principalement allemand – Lied oblige –, avec quelques incursions en France, aux Etats-Unis, ou encore en Russie. Globalement, la soirée est d’excellente tenue. Quelques saillances sont à signaler : le « Widmung » de Sina Günther révèle une belle maîtrise du texte et du placement de celui-ci au service d’un son homogène et rond ; le « Unbewegete laue Luft » de Luzia Ernst est très intériorisé mais s’anime subtilement, notamment grâce à l’excellent accompagnement d’Anna Gebhardt ; dans « An die Nacht », Leonie Paulus révèle des aigus colorés, riches, voire chatoyants et une maîtrise parfaite de sauts d’intervalles périlleux ; le « Violon » de Catalina Geyer surprend par une interprétation qui glisse comme l’archet sur les cordes ; le « Frühlingsfluten » de Maria Tilibtsev est somptueux, le timbre se révèle ici riche en harmoniques, comme un feu d’artifice néanmoins raffiné et maîtrisé ; en plus d’un timbre clair et d’une projection sûre, David Kennedy se révèle facétieux dans un « The Compleat Virtuoso » dont la réussite tient d’abord aux qualités narratives qui y sont déployées…
La soirée se clôt par un second bis collectif, « Ich hab’ mein Herz in Heidelberg verloren ». C’est dire l’attachement des jeunes chanteuses et chanteur pour une ville qui, désormais, symbolise peut-être davantage l’avenir du Lied que son histoire.