Les enregistrements de musique ancienne antérieure au baroque sont suffisamment rares pour que l’on s’intéresse à celui-ci, d’autant que Marc Mauillon (1), dont on apprécie les qualités musicales et la probité, prête sa voix à six pièces du programme. La restitution du français ancien est savoureuse, et l’une émission toujours gratifiante (*).
L’enregistrement, vraisemblablement à l’initiative de l’ensemble Les Joueurs de Traverse, s’est assuré son concours et c’est fort bien. A l’image de ce que de très nombreux ensembles de flûtes à bec ont réalisé depuis plus de cinquante ans, Les Joueurs de Traverse s’emparent de ce répertoire ancien. Le programme, emprunté à des œuvres ou recueils fréquemment illustrés de longue date, trouve sa cohérence autour de quelques timbres, présentés monodiquement ou dans des polyphonies pouvant aller jusqu’à cinq parties. Le panorama, intéressant mais déséquilibré, s’avère peu représentatif de l’immense production de 130 ans de musique de la Renaissance. En effet, l’Angleterre y occupe la place la plus importante, l’Italie n’est représentée que par une pièce transcrite de Frescobaldi, et la France est réduite à peu de chose.
A quelques rares exceptions près, liées à la création contemporaine, les ensembles de flûtes traversières (modernes) que nous connaissons sont à vocation pédagogique ou ludique. On est réduit aux conjectures sur l’existence de consort de flûtes anciennes sur le continent, même si Agricola (1545, suivi de Praetorius, De Organographia 1619-1620, Mersenne en 1636) mentionne la famille. Curiosité plus que réelle découverte : le consort de flûtes compte parmi ses membres le facteur, Sébastien Villoing, qui a réalisé l’ensemble des instruments, après une étude très documentée et une longue pratique. Deux jeux ont été ainsi créés, le premier d’après une collection conservée à Vérone, le second, d’après Rafi, facteur lyonnais réputé du XVIe siècle.
Que retenir de ce CD ? Les pièces sont brèves (sauf Une jeune fillette, et la pavane Lacrymae de Dowland), trop brèves pour que l’auditeur se les approprie. Même si leur trace écrite se limite à peu, il est assuré que leur jeu appelait de multiples répétitions, variées, ornées. D’autre part, le monde qui sépare la plainte de la danse est immense, et le traitement uniforme qui leur est imposé s’avère peu gratifiant, convenu, parfaitement en place, mais sans âme. En dehors de Praetorius (Spagnoletta) jamais ces musiques n’invitent au mouvement : la danse, essentielle à l’époque, semble exclue, sinon des intitulés. Variées, à 4 puis à 5, s’y ajoutent de discrètes percussions. Le Capriccio de Frescobaldi est ici plaisant, mais dépourvu des couleurs que l’orgue lui réserve. Une jeune fillette, timbre renommé durant un siècle, a inspiré de très nombreuses œuvres. La chanson en voix de ville, recueillie par Chardavoine, n’en est qu’une version tardive (1576), Janequin en donnait une autre, à 4, dès 1549 (XIXe livre). Pourquoi la flûte basse double-t-elle systématiquement la voix dans les nombreux couplets de la chanson de Chardavoine, au risque de susciter quelques petits problèmes de justesse ? Pourquoi n’avoir pas emprunté à telle ou telle version pour diversifier l’écoute, car on ne se trouve plus dans l’univers du lai ? Les Fantaisies de Du Caurroy (29 à 33, publication posthume, 1610), souvent jouées à l’orgue ou par un consort de violes, supportent la transposition, même si la trame polyphonique perd ici de sa lisibilité. La virtuosité de la flûte soprano est indéniable. Bien qu’ayant été écrites spécifiquement pour flûte à bec, on apprécie les diminutions de Van Eyck que nous offre le traverso, également agile dans Du Caurroy.
Les pièces pour luth seul, confiées à Christian Rivet, séduisent peu, tant par leur timbre que par leur jeu. C’est lui qui introduit la célèbre pavane Lacrimae, dont la rondeur, la plénitude font défaut. Flow my tears, de Dowland, ici confié à deux flûtes et au luth, parait pauvre privé de la voix. La présence quasi constante de l’ensemble, l’uniformité des couleurs et du jeu, associées à une palette tonale/modale restreinte, génèrent une forme de lassitude. A consommer pièce par pièce, avec modération.
(*) Marc Mauillon : je ne vois pas pourquoi je devrais changer ma façon de chanter ; Cinq questions à MarcMauillon sur Guillaume de Machaut