Entre deux représentations de L’Olimpiade, où elle campe un brillant Megacle, Marina Viotti commence au Théâtre des Champs Elysées la tournée de son récital consacré à Handel avec Marc Minkowski. Alors que ses oratorios sont largement délaissés depuis plusieurs années, les artistes ont l’intelligence d’y consacrer toute la première partie du concert. Avouons néanmoins que l’héroïne à la robe tunique bleue, dont elle retire le voile pour les oratorios non bibliques, y est moins à l’aise que dans la partie consacrée aux airs tirés d’opera seria. D’abord parce que le programme est très exigeant, et l’on comprend que la chanteuse choisisse de ne pas tout donner en début de parcours (ainsi la reprise de l’air de Déjanire en bis la montre bien plus percutante). Ensuite car ce sont souvent des airs écrits pour des voix de contralto, or Marina Viotti est avant tout une mezzo colorature, capable de capiteuses descentes dans le grave en poitrinant superbement, sans que cela soit néanmoins une zone de la portée où elle puisse s’épanouir pleinement : sous couvert de contrition, l’expressivité est limitée (elle se réfugie trop dans sa partition, et cette coupe au carré la gêne manifestement), les vocalises sont en retrait et les personnages assez monolithiques. Par exemple son interprétation de l’air final de Déjanire, où l’on entend la rage plus que l’effroi, comme si elle cherchait à incarner les furies censées l’entourer, sans effet expressionniste toutefois, mais les « Hide me » soudainement sereins manquent de fragilité : prière d’une sainte, et non d’une folle. Toutefois, on ne doute pas que cela s’améliore au fur et à mesure de la tournée. Prenons pour gage l’attention similaire apportée aux passages chantés et parlés (oui, ils donnent le récitatif avant l’air, plaisir coupable des baroqueux, surtout quand l’anglais est aussi bien prononcé), les variations à la fois lourdes du drame et très dignes (final de « Defend her, Heaven ») et les da capi, où la suissesse peut briller dans l’aigu (« All danger disdaining »).
Après l’entracte, entrée du seria, dans une combinaison moulante jaune fluo strassée et les cheveux gominés. Si le repertoire des castrats londoniens est davantage dans ses cordes, elle n’a pourtant pas encore trouvé la parfaite fluidité, l’art de glisser ses moyens impressionnants dans la dentelle hystérique et caffarelliene de « Crude furie », d’où un contraste parfois gênant entre les croches et les points d’orgue. Carestini lui convient mieux : après un doux amer « Verdi prati », son « Dopo notte » déploie des vocalises précises, raffinées et très étudiées sur une large tessiture avec des graves jouissifs, gros comme des maisons et des aigus puissants. Déjà remarquable lors du concert anniversaire de l’orchestre à Versailles, l’interprétation de ce soir galvanise la chanteuse (elle bissera le da capo) et donne furieusement envie de l’entendre dans l’intégralité du rôle. Eblouissement enfin pour un « Ombra cara » en apesanteur, où sa voix veloutée et fantomatique émerge régulièrement et progressivement de la ligne des cordes avant d’y replonger.
Il faut dire que l’accompagnement des Musiciens du Louvre a de quoi éblouir également : admirez l’intensité croissante de chaque reprise, l’ampleur des ritournelles, l’alacrité qui n’exclut ni la rondeur, ni la consistance orchestrale (premier allegro du concerto grosso n°4 renversant). Certes on eut préféré des ouvertures d’oratorio en guise d’intermèdes, mais il eut fallu trompettes et timbales.
Les nombreux bis finissent de conquérir le public, notamment ce duo comique tiré de la cantate Apollo e Dafne, sans oublier ce qui nous est présenté comme la transcription (passion avouée du chef) d’un motet de Noël scandinave, et dont les couleurs seventies ont dû en surprendre plus d’un.