Après un mémorable concert donné la veille par l’Orchestre symphonique de la Monnaie, dirigé par Alain Altinoglu avec Stéphane Degout, on attendait avec impatience celui consacré à la musique anglaise. Le programme en est original, sinon audacieux, et il paraît vraisemblable que le public, pour l’essentiel, en découvre les œuvres, rares au concert.
Spectaculaire, puissante et violente jusqu’au paroxysme, avant une accalmie progressive pour un tapis de basses aux belles harmonies, l’ouverture de The Tempest de Thomas Adès a de quoi séduire tous les auditeurs.
Ed Lyon chante la Sérénade opus 31 de Britten © FIC - Bertrand Schmitt
Le contraste est fort avec la Sérénade de Britten, contemporaine de Peter Grimes, qui, outre le ténor et le cor solistes, ne requiert que les cordes de l’orchestre. Jean-Pierre Dassonville, le corniste, usera avec maestria de deux instruments, le cor solo (naturel) pour le prologue et l’épilogue, et le cor d’harmonie pour les mélodies auxquelles il participe. Le jeu des harmoniques du premier, comme Britten le suggère, donne une couleur singulière aux soli qui encadrent le cycle (1). Ed Lyon, ténor britannique que l’on connaît surtout dans le répertoire baroque, s’y révèle à l’égal des références historiques par son aisance, la clarté et la justesse de son chant, sa longueur de voix (un « excellently bright » admirable, énoncé deux fois dans Hymn) et l’égalité de ses registres. L’émotion est bien là, même pour l’auditeur ignorant le texte chanté (2), essentiel. Les six poèmes anglais (du XVe au XIXe siècle) illustrés par Britten à l’intention de son compagnon, Peter Pears, et de Dennis Brain, le fabuleux corniste qu’il venait de découvrir, font la part égale au chant et au jeu du cor. La nuit et ses mystères en sont le fil conducteur (3). Après le déclin du soleil dans Pastoral, les cadences qui alternent avec les passages mesurés du Nocturne de Tennyson participent à l’étrangeté onirique de l’ensemble. Elegy, qui suit, au souffle passionné contenu dès la belle introduction, est enchaîné à Dirge, commencé par la voix nue, a cappella, dont l’émotion est juste. Le corniste profite de son absence dans le Sonnet de Keats, aérien, suave, pour quitter discrètement la scène et s’éloigner, puisque l’épilogue doit sonner « off stage », en coulisses. Les cordes, le plus souvent ténues, s’y montrent admirables de précision rythmique, de fusion harmonique.
La composition des variations Enigma, d’Elgar, relève du jeu, et d’une forme de provocation-stimulation de l’auditeur par les questions qu’elle lui pose. Les énigmes ne résident pas seulement dans la recherche du thème générateur de l’ensemble des quatorze variations, mais aussi dans le décryptage des intitulés. Vivante, expressive, énergique et ludique, la direction souriante d’Alain Altinoglu confère à l’orchestre une sorte de joie collective, complice. Les textures complexes et renouvelées, l’hédonisme imprimé au discours, son architecture, la douceur, le mystère comme la frénésie, tout séduit et l’on se surprend, au terme de l’ouvrage, grandiose, à ce que le temps se soit si vite écoulé. Une grande leçon de direction, avec un orchestre superlatif. Les soli d’alto, de violoncelle sont d’une rare beauté , d’un lyrisme juste. En bis, la célébrissime première des marches Pomp and Circumstance, écrite deux ans après les Variations. Une joie euphorique s’empare du public dans une sorte de communion collective, comme lors de son exécution aux Prom’s. Un triomphe d‘autant mieux venu qu’il était inattendu au terme de cet ambitieux programme.
(1) Britten usera du même procédé pour A Ceremony of Carols, puis pour Billy Budd. (2) L’absence des textes et de leur traduction dans le programme de salle interdit aux auditeurs peu familiers de l’ouvrage de s’en approprier pleinement le sens. Dommage. (3) Son dédicataire, Edward Sackville-West écrivait à son sujet « Le sujet est la nuit et ses prestiges : l'ombre qui s'allonge, le clairon lointain au coucher du soleil, la panoplie baroque du ciel étoilé, les lourds anges du sommeil ; mais aussi le manteau du mal - le ver dans le cœur de la rose, le sens du péché dans le cœur de l'homme. L'ensemble de la séquence forme une élégie ou un Nocturnal (comme l'aurait appelé Donne), reprenant les pensées et les images propres au soir ».