Il n’est finalement pas si fréquent d’assister en France à une représentation de la version française d’Orphée et Eurydice (ou même Euridice si l’on en croît la partition autographe) de Gluck. L’azione teatrale per musica, devenue drame héroïque, fut donnée pour la première fois en 1774 au Théâtre du Palais-Royal, avec Joseph Legros dans le rôle-titre. En raison d’une météo capricieuse, la représentation ce soir, prévue dans la Cour des Hospices, est transférée dans la Basilique Notre-Dame, un lieu de toute beauté, mais dont il faut apprivoiser l’acoustique. Les trois solistes vocaux, placés derrière l’orchestre, en feront quelque peu les frais, devant déployer des ressources supplémentaires pour projeter leur voix.
Tout a déjà été dit et écrit sur l’adéquation parfaite de Reinoud Van Mechelen avec le répertoire français pour haute-contre, notamment en termes de tessiture, d’attention portée à la déclamation ou encore de familiarité avec un style qui semble couler de source dans sa voix. Avec cet Orphée, il atteint de nouveaux sommets. Soutenu par un orchestre au grand complet, il surpasse sa prestation au disque dans l’hommage qu’il avait consacré à Joseph Legros. Captivant d’emblée le public avec ses plaintes déchirantes (« Eurydice ! »), le ténor belge offre une interprétation poignante de l’air « Objet de mon amour », où brille la clarté de la ligne vocale. En clôture du premier acte, « L’espoir renaît dans mon âme » démontre une agilité vocale impressionnante, Reinoud van Mechelen couronnant l’air d’une spectaculaire cadence vers un contre-mi bémol. Bouleversant dans les récitatifs accompagnés du deuxième acte, il démontre enfin, avec « J’ai perdu mon Eurydice », à quel point ce style musical qui pourrait sembler convenu, peut arracher les larmes lorsqu’il est rendu ainsi : sans maniérisme mais avec grâce.
À ses côtés, le chant de l’Eurydice d’Ana Vieira Leite est délicat, admirablement phrasé et très intelligible. Les épanchements plus tourmentés de son air « Fortune ennemie » la montrent toutefois un peu trop en retrait. Aucune réserve enfin pour le délicieux Amour de Julie Roset, dont chaque intervention fait mouche.
La direction de Paul Agnew nous laisse une impression partagée. D’un côté, il insuffle une belle dynamique et une grande unité à l’ensemble. L’Ouverture est ainsi rondement menée, et, au deuxième acte, il sait créer une atmosphère oppressante dans les Enfers, notamment dans l’Air des Furies, où la tension dramatique est palpable. Mais d’autres passages nous ont paru moins inspirés, en particulier les récitatifs accompagnés, un peu métronomiques.
Le chœur des Arts Florissants affiche une unité à toute épreuve mais souffre du changement de lieu de la représentation. Si la résonance de la Basilique lui insuffle un volume sonore impressionnant, cela se fait au prix d’un manque de clarté dans l’articulation du texte et d’une trop grande uniformisation du chant. L’orchestre, d’une belle homogénéité, n’est pas avare de couleurs, des basses bien présentes, aux trombones menaçants, en passant par la flûte charmeuse de Gabrielle Rubio dans le Ballet des Ombres heureuses.
Précisons enfin qu’un enregistrement studio de ce spectacle est prévu dans les jours qui viennent, chez Harmonia Mundi.