« Pasticcio – Paris 1801 » se veut un disque air du temps, comme nous avons eu des « Vienne 1900 » ou « Venise 1729 ». Motivé par la partition des Mystères d’Isis, adaptation à succès de La Flûte enchantée de 1801 (une intégrale existe), et la remise en état d’un piano carré Érard de 1806 (en partenariat avec La Nouvelle Athènes – Centre des pianos romantiques), Luca Montebugnoli (ci-contre) et son équipe ont concocté un programme se voulant représentatif de la sensibilité musicale du Paris post-révolutionnaire à travers la musique de salon.
Le disque évoque la façon dont la musique de Mozart a percolé en France ainsi que les relais musicaux entre théâtres et salons, démarche détaillée très clairement dans un livret de grande qualité, ce qui devient rare. On y entend des petits maîtres comme Devienne, Duport ou Garat, mais aussi Cimarosa et Paisiello, favoris de Bonaparte comme du public du Théâtre-Italien, justement rouvert en 1801, et trois pièces (six en version numérique) de Felice Blangini, Turinois installé en France en 1799 auquel les romances assurèrent une belle renommée.
L’évocation est charmante et convaincante : diversement associés, un piano, un violon, une flûte et un violoncelle, tous d’époque, suffisent à varier finement les morceaux. Certes, l’ouverture de La Flûte perd largement de sa force évocatrice, mais le mouvement du concerto pour piano KV 503 arrangé par Kalkbrenner conserve son intérêt.
François Devienne (1759-1803), flûtiste, bassoniste et compositeur – grand succès pour l’opéra-comique Les Visitandines, créé en 1792 –, est représenté par un andante et rondeau arrangé pour piano et flûte, d’un classicisme tout à fait plaisant, ainsi que trois chants très séduisants servis par Cyrille Dubois, avec le goût et la perfection vocale qu’on lui connaît. Le thème est tiré d’un roman à succès de Florian.
Ce mélange de nostalgie, de patriotisme et de préciosité typique de la France des années 1790-1800 se retrouve dans les pages de Pierre-Jean Garat (1762-1823), figure haute en couleur et chanteur porté aux nues par les régimes successifs. Excellent musicien dans tous les styles, voix ténue mais longue et agile, il brilla essentiellement dans les concerts et les salons, et contribua à former la brillante génération de chanteurs des années 1820. Marianne Croux prête son beau soprano lyrique à la Complainte du troubadour et une romance à laquelle le violon vient donner une coloration mélancolique presque celtique : tout cela dans le goût du temps marqué par Ossian. Elle s’y trouve plus à son aise que dans l’air des Mystères d’Isis adapté d’« Or sai chi l’onore », dont la version française souligne une essence déclamatoire inscrite dans la lignée de la tragédie lyrique de Gluck, Piccinni ou Sacchini. Croux rivalise de délicatesse avec Dubois dans les ravissants duos de style purement italien de Blangini, et livre une jolie version du touchant « Il mio ben quando verrà », page emblématique de l’époque, qui mériterait d’être plus chantée (comme la version de Dalayrac).
Le programme est complété par une romance pour piano et violoncelle de Jean-Louis Duport (1749-1819), violoncelle réputé, et un mouvement de concerto pour violon et piano d’Hérold (1791-1833), lui-même pianiste, dont on connaît mieux les succès dans le premier tiers du siècle, couronnés par Le Pré aux clercs. L’Ensemble Hexaméron en donne des belles interprétations, d’un classicisme dont la régularité aurait pu s’infléchir un peu çà et là, mais dont la retenue et la sensibilité correspondent à l’humilité du contexte et du programme. On apprécie notamment la sonorité singulière du piano carré de 1806, à quatre voix, chaînon manquant entre le piano de concert moderne et le clavecin.