S’il n’y avait pas eu le hiatus de 2020, le Festival de Glanum aurait célébré cette année sa dixième édition. Fondé par l’homme d’affaires Dominique Oger, qui avait l’indéniable don de rassembler des gens de talent et de passion, « Les Antiques de Glanum » (nom original de l’événement) n’étaient au début qu’une rencontre amicale entre musiciens et mélomanes. Un seul concert était alors au programme, faisant toutefois appel à des artistes de premier plan : le compositeur et pianiste Karol Beffa ainsi que la mezzo-soprano Karine Deshayes ont fait partie de la distribution.
Depuis, le festival n’a cessé de prendre de l’ampleur. Aujourd’hui, il accueille jusqu’à huit cents personnes sur le merveilleux site romain de Glanum à Saint-Rémy-de-Provence. Pendant trois jours – suivis de deux jours de Glanum Off – des vedettes internationales et des jeunes musiciens prometteurs se donnent rendez-vous dans les Alpilles. Après la démission d’Henri Demarquette en décembre dernier, le chef d’orchestre et altiste Mathieu Herzog vient seulement de prendre ses fonctions. Dans un entretien accordé à Forumopera, il s’est confié sur sa vision et ses préoccupations artistiques, qui comprennent le renouvellement du répertoire et le mélange des genres.
Un projet de danse consacré à Carmen inaugure l’édition 2024. La musique de Bizet, vue à travers le prisme de celle de Rodion Shchedrin et du jeune compositeur Ivan Julliard, épouse une chorégraphie éclectique de Julien Lestel, qui s’associe à la jeune soprano Lise Nougier. Si des propositions interdisciplinaires, traversant les genres, s’invitent régulièrement à Glanum, c’est la musique du monde qui est à l’honneur cet été. L’ensemble Tsuzamen, sous la direction de Michel Piquemal, conçoit un concert pluriculturel, qui fait dialoguer la musique juive, arménienne et tzigane.
Un temps fort de la programmation est sans aucun doute le récital de la soprano sud-africaine Pretty Yende, qui fait revivre les plus belles pages du Bel Canto. Entre Donizetti, Bellini, Rossini, Gounod – et une escapade particulièrement charmante dans la Veuve joyeuse – le public émerveillé acclame une chanteuse très émue. L’année dernière, elle a été obligée de reporter le spectacle suite au décès de sa mère. Au gré des airs, elle module sa voix claire et souple. Avec beaucoup de virtuosité, elle lui confère tantôt plus de poids, tantôt de la légèreté, quel que soit le registre. Cela lui permet de rendre effervescentes les notes les plus aiguës, alors que le grave reste riche et texturé. Parfois, la mélodie semble flotter sur un souffle. Grâce à ses qualités de comédienne, un seul extrait d’opéra suffit à évoquer toute l’œuvre.
L’orchestre Appassionato, sous la baguette de Mathieu Herzog, fait preuve d’une grande transparence, qui se marie parfaitement au timbre de la soliste. Les moindres détails et astuces d’orchestration sont perceptibles. L’élégance et la précision distinguent la direction. Parfois, les gestes nets d’Herzog s’effacent devant son orchestre auquel il fait confiance, avant de réinjecter juste ce qu’il faut d’énergie, et de reprendre l’initiative. La soirée est rythmée par quelques interventions orchestrales, dont un Intermezzo aérien de Cavalleria Rusticana, qui appartient aux œuvres que le chef emporterait sur une île déserte, comme il l’avoue aux spectateurs. Cette expérience musicale dans un site protégé est rendue possible entre autres par Soundscape, un ingénieux système de sonorisation qui permet de créer des salles de concert virtuelles en plein air.
Le lendemain, Glanum Off investit la chapelle Saint-Paul de Mausole. Lise Nougier est de retour et présente le spectacle « Ma première lettre d’amour » aux côtés du pianiste Ramon Theobald. Un prétendu chagrin d’amour incite la chanteuse, ancienne membre de l’Académie de l’Opéra de Paris, à relire les lettres de son amant, en créant un récit musical à travers des œuvres lyriques qui répondent à cette situation : Werther, Eugène Onéguine, La Traviata, mais aussi les opérettes de Jacques Offenbach ainsi que des chansons de Barbara et d’Anne Sylvestre. La Lettre à Élise, parfois caricaturée, sert de fil rouge. La voix ample et puissante de Nougier se prête particulièrement bien au répertoire dramatique de Gounod ou Tchaïkovsky, tout en épousant – avec un malin plaisir – la chanson française. Soudain, des nuances plus tendres apparaissent. Ce goût du caprice, au service d’une grande musicalité, s’observe aussi dans les escarmouches gentilles entre elle et son pianiste.
Le festival se clôt par un concert de l’Almere Youth Symphony Orchestra, en partenariat avec le Festival International des Orchestres de Jeunes en Provence. La transmission et le soutien de jeunes artistes sont deux aspects que Mathieu Herzog souhaite développer dans les années à venir. Glanum connaîtra par ailleurs une suite hors festival et proposera quelques concerts au centre de Saint-Rémy en début d’année prochaine. L’édition 2024 s’est soldée par plusieurs soirées complètes. Cela est de bon augure pour l’avenir d’un événement qui réserve d’ores et déjà quelques surprises au public.