Gregory Kunde n’avait pas chanté à Pesaro depuis 15 ans (où il avait fait ses débuts en 1992 (!), en Idreno dans Semiramide). C’est dire si le concert de cet après-midi était attendu.
Et c’est avec une certaine émotion qu’on le retrouve dans un extrait de Guillaume Tell. L’« asile héréditaire » ne laisse cependant que peu de place à la mélancolie. Certes cet Arnold n’est plus un jeune homme sémillant, mais un homme qui a vécu, au timbre légèrement émoussé par les années, mais quelle vigueur dans les accents et les aigus, éclatants, quelle justesse chirurgicale, quel soins dans la diction et quel investissement dramatique, le ténor se glissant en quelques gestes économes dans le personnage ! Il pourrait en remontrer à bien des titulaires du rôle, actuels ou passés.
Gregory Kunde accueille l’ovation qui lui est faite les yeux humides, lui qui avait abordé le rôle dès 1989 et chanté in loco Arnold en 1995.
La suite du concert change radicalement d’ambiance. Après l’ouverture de Candide, le ténor chante avec micro des grands standards américains. Le « Maria » de West Side Story est d’ailleurs une habile passerelle, Bernstein jouant encore avec les codes de l’opéra et donnant l’occasion au chanteur de faire montre de son aisance notamment dans le registre aigu.
Le ténor se mue ensuite en crooner. Cette incursion dans la « variété » n’est pas une simple lubie. On sent une gourmandise, un sens du rythme qui entraîne le public, peu habitué à ce répertoire. Tout juste rêverait-on parfois un peu plus de moelleux. Cette incursion n’est d’ailleurs pas sans lendemain, le chanteur sortant un album de chansons américaines.
La Filarmonica Gioachino Rossini s’éclate audiblement dans ce mélange des genres, notamment le pupitre de cuivres swinguant avec aisance dans « Fly me to the moon ». On apprécie par ailleurs l’habileté des arrangements signés John G. Smith (également au piano). L’ouverture de La gazza ladra aura auparavant mis en avant quelques déséquilibres entre pupitres, mais on retiendra surtout la complicité du chef, Alessandro Cadario, avec Gregory Kunde et son accompagnement attentif dans « Asile héréditaire ».
Après « You make me feel so young » qui sonne comme une déclaration d’amour au public, et un premier bis consacré au standard « My way », Gregory Kunde revient à l’opéra avec un « Nessun dorma » qui ne triche pas, révèle quelques lézardes dans le timbre mais couronné d’un « Vincero » glorieux, qui rappelle que le chanteur septuagénaire n’a aucunement l’intention de raccrocher les gants.