Entre piliers symphoniques et bijoux chambristes, Bertrand Chamayou construit cette année sa première programmation pour le festival Ravel, après trois années de co-direction avec Jean-François Heisser, son ancien professeur à l’académie Ravel.
Après plus de cinquante ans, cette seconde institution conserve une formidable énergie, alternant masterclasses et concerts publics dans sept disciplines dont le chant et la composition.
Désormais fusionnés, festival et académie s’irriguent l’un l’autre comme en cette fin d’été, aux pieds de la Rhune dans le cadre superbe de l’église de Sare.
La soirée prend la forme d’une ode à la jeunesse puisque le pianiste est entouré de musiciennes de l’académie, dont l’excellente Clarisse Dalles que l’on connaît notamment dans le répertoire d’opérette avec les Brigands ou les Frivolités Parisiennes, et qui avait brillé ici dans Véronique en 2018. La formation est complétée par la flûtiste Zofia Neugebauer et la violoncelliste Maria-Andrea Mendoza.
Clarisse Dalles est la voix de Christiaan Willemse, lauréat du prix de composition l’an passé, qui crée ce soir un cycle de trois mélodies à la demande du festival.
Le compositeur vient de diriger une création orchestrale en Autriche, au festival de Grafenegg, mais le répertoire lyrique lui est familier : chef d’un chœur liturgique, il chante en chorale depuis l’enfance.
Bertrand Chamayou lui a suggéré de travailler en écho avec les Chansons madécasses de Ravel, avec le même instrumentarium et une thématique commune. Une suggestion dont le musicien sud-africain de vingt-six ans s’est saisi avec brio, mettant en musique trois poèmes de la journaliste et poétesse Antjie Krog, en afrikaans. Elle avait assisté à la « Commission de la vérité et de la réconciliation » dans les années 1990. De cette expérience est né un recueil de poésies : Kleur kom nooit alleen nie – La couleur ne vient jamais seule.
Le thème de l’apartheid répond ainsi à la mélodie clairement anticolonialiste « Aoua » – « Méfiez vous des blancs, habitants du rivage » – de Ravel.
© Festival Ravel - Mathieu Mengaillou
L’angoisse tombe comme une chape dès les premières notes de « Woordeloos » – « Je suis sans voix ».
Les quatre interprètes imprègnent l’air d’une atmosphère angoissante à l’étrangeté singulièrement prenante qui n’est pas sans évoquer un mythe antique où le Fatum pèserait de tout son poids sur le destin des hommes. Remarquablement expressive, Clarisse Dalles jouit d’une diction limpide qui donne l’impression de parfaitement suivre l’aquarelle de ses émotions – même si le sens du texte nous est inintelligible en l’absence de traduction dans le programme de salle. La projection superbe, les médiums sonores se teintent d’une rythmique entêtante dans « Tussen jou en my » – « Entre toi et moi » où la colère succède à la douleur et s’achève en cri de révolte.
« L’épilogue », constitué en réalité de dernier poème du recueil, est porteur d’espoir et des ferments de la réconciliation. Entre le feulement de la flûte et la déclamation pleine d’autorité de la chanteuse, cette troisième mélodie s’achève en une méditation apaisée.
Les potentialités des instruments sont utilisées avec une grande créativité. Zofia Neugebauer à la flûte et Maria-Andrea Mendoza au violoncelle, sont formidables d’engagement et de précision, faisant fi de l’ambitieux langage microtonal des instruments. Elles susurrent, chuchotent, grincent où se libèrent d’un poids trop lourd en une brusque envolée. Bertrand Chamayou accompagne généreusement cette jeunesse talentueuse, se mettant au service de l’œuvre et des interprètes avec beaucoup de générosité, alternativement debout en percussionniste ou martelant le clavier en forme d’orage.
Les artistes font montre des mêmes qualités dans les trois Chansons madécasses de Maurice Ravel.
Dans « Nahandove » Clarisse Dalles privilégie la tendresse, le naturel, l’émission claire et franche soutenue par le violoncelle sensible de Maria-Andrea Mendoza.
L’appel à la rébellion d’« Aoua » sonne tout en contraste mettant en avant cette fois la flûte rythmique de Zofia Neugebauer, en parfaite harmonie avec les consonnes expressives remâchant une profonde colère. La soprano, très investie dans ce texte pourtant difficile, ne lâche jamais le sentiment : son œil, toujours, raconte. C’est également le cas avec la douce poésie d’« Il est doux » où la force d’invocation rend le paysage nocturne réel ; devant nous, la lune se lève.