Jakub Josef Orlinski devait ouvrir le cycle des concerts proposés par le Festival Baroque de Bayreuth, six en tout, dont un de Sandrine Piau, mais sa santé ne le lui permit pas. Qui pour le remplacer ? Ce serait Bruno de Sà, sopraniste qui avait créé l’évènement en 2022 en interprétant sur la même scène du Théâtre de la Margravine le rôle de la reine Cleofide dans Alessandro nell’Indie de Leonardo Vinci. L’étendue de sa voix et son moelleux, l’homogénéité de l’émission, la hauteur et la rondeur de ses aigus nous avaient ébloui. Alors, pourquoi l’enchantement ne s’est-il pas renouvelé ? Serait-ce à cause d’un programme composé majoritairement d’airs à performance, où nous avons surtout entendu du son, et encore pas toujours séduisant ? Autant sa voix nous avait ravi par l’illusion qu’elle donnait d’une voix « naturelle », autant ce 6 septembre elle ne nous a vraiment ému que dans l’air de Porpora chanté en deuxième partie, « Parto, ti lascio » où les agilités bien présentes restent soumises à l’expression de la tristesse, où la virtuosité des éclats doit composer avec une dilatation infinie de la ritournelle qui confine à la fascination de l’auditeur. Il faudra attendre les bis pour retrouver un peu de cette émotion.
Alors, resté extérieur aux deux pièces à caractère religieux de la première partie, le Gloria de Haendel et le motet In furore iustissime irae de Vivaldi, dont la théâtralité rend la piété factice, nous les avons subies, parce que l’émission des sons, devenue plus libre une fois la voix échauffée, nous parvenait comme l’objectif prépondérant sur le sens. Cette déception sera moindre en deuxième partie, où le chanteur abandonne son costume sombre paré d’une longue écharpe retombant de l’épaule droite pour un costume framboise orné de plumes noires sur la même épaule, ornement pour le moins étrange, entre bersaglieri et vaudou. Mais l’air d’Aci reste sur la veine de la recherche de l’exploit, avec les suraigus en guirlande et les effets de miroir avec le hautbois qui favorisent la démonstration de la longueur du souffle. Mais les aigus les plus hauts manquent pour nous de moelleux et le dernier est carrément risqué.
En interprétant ensuite l’air de Cleopatra de Marc ’Antonio e Cleopatra de Hasse, Bruno de Sà est fidèle à son choix de chanter les rôles qui vont dans sa voix, fussent-ils féminins. L’air est essentiellement rapide et répétitif, orné de banderilles suraiguës redoublées dans la reprise, et aucun trille ne manque, y compris dans le duo avec le violon, et cela déchaîne l’enthousiasme. Est-ce à ce moment que le facétieux Bruno de Sà prend son téléphone et affecte d’appeler – ou le fait-il vraiment ? – Jukob Orlinski pour lui faire entendre et lui montrer l’auditoire en délire ?
Nous avons déjà dit que le moment fort de ce concert, pour nous, était l’air d’Arminio extrait de Germanico in Germania de Porpora, que renonçant à ses facéties scéniques – esquisser des pas de samba faute de breakdance (sic) – le chanteur interprète assis sur le bord de la scène, les jambes dans le vide de la fosse.
Avec l’air d’Aminta de L’Olimpiade de Vivaldi Bruno de Sà reprend la veine des rafales de suraigus ; cet exploit déchaîne l’auditoire, mais nous n’entendons que du son émis mécaniquement et la rapidité des vocalises manque d’en bousculer la précision. Un dernier suraigu encore plus aigu, et les hurlements jaillissent en abondance, approbateurs et quémandeurs de bis. Bruno de Sà sera généreux et en accordera plusieurs, dont nous ne garantissons pas de les avoir exactement identifiés.
Ce sera donc successivement « Furie di donna irata » de Lucinda dans La buona figluola de Piccini, , l’air de Bellezza « Tu del Ciel » extrait d’ Il trionfo del tempo e del Disinganno de Händel et de Riccardo Broschi l’air d’Arbace « Son qual nave » de l’opéra Artaserse. Est-il nécessaire de dire l’extase des auditeurs conquis ?
Délectable en revanche sans la moindre ombre dans toutes ses interventions, l’ensemble Il Pomo d’Oro, formation dont les individualités sont autant de solistes valeureux qui semblent organiquement liés et placés ce soir là sous la direction musicale très précise et sensible d’Alfia Bakieva. On est heureux que ces artistes aient eux aussi reçu leur tribut de la gratitude bruyante du public.