La version inédite de La Vie parisienne établie en 2021 par Sébastien Troester et l’équipe scientifique du Palazzetto Bru Zane avait suscité de vives discussions. Trahison ? Supercherie ? Ou retour salutaire au texte original avant que la censure et les limites de la troupe du Théâtre du Palais Royal n’obligent Offenbach et ses librettistes à adapter leur œuvre ? La publication d’un enregistrement de cette nouvelle version, sous la forme d’un livre-disque – le 41e de la collection « Opéra français » – ne mettra pas un terme à la polémique. Sous la supervision d’Alexandre Dratwicki, deux textes d’accompagnement continuent d’expliquer et justifier sources, démarche et choix. Le mélomane ordinaire se gardera de trancher, lui qui dans la querelle a l’avantage de disposer désormais de deux œuvres au lieu d’une, tant les différences sont multiples. Plutôt que s’épancher en d’inutiles regrets sur la disparition de tel et tel couplet qui lui étaient chers, ou sur l’ajout de ce quatrième acte si bavard que l’on comprend qu’il ait été coupé, réjouissons-nous de la découverte d’un grand nombre de numéros jamais publiés* et parions dans les temps à venir sur un compromis entre les deux partitions, comme l’usage prévaut pour les deux versions d’Orphée aux Enfers.
Le retour au livret original a imposé l’enregistrement des répliques parlées, contrairement à Passionnément et Ô mon bel inconnu dans la même collection. Ces dialogues sont le banc de sable théâtral sur lequel achoppent la plupart des artistes, tous chanteurs avant d’être comédiens – ce qui n’était pas le cas des interprètes de la création, exception faite de Zulma Bouffar en Gabrielle.
Surnage la partition, conduite avec brio par Romain Dumas, ex-assistant de Marc Minkowski dont il a hérité la verve primesautière, une énergie oublieuse parfois du sentiment qu’exsude la musique – la mélancolie est une part non négligeable de l’art d’Offenbach. L’Orchestre national du Capitole de Toulouse s’ébat avec délice dans un répertoire qui, depuis l’ère Plasson, figure parmi les premières lignes de son curriculum vitae, et le chœur, également dans son élément, reste intelligible en dépit de la vivacité des tempi.
« La distribution vocale est éblouissante et sans réelle faiblesse », constatait notre confrère Thierry Verger, présent à la Halle aux grains lors de la séance publique d’enregistrement (voir son compte rendu). Pour ne pas le paraphraser, on se contentera de rappeler la qualité de diction des chanteurs tous francophones, ce qui chez Offenbach est une condition non négociable. On redira aussi combien cette version privilégie Gabrielle au détriment de Métella – Véronique Gens, toujours grande dame en dépit d’un rôle réduit à ses deux rondeaux – et on se réjouira de disposer d’une gantière aussi vive qu’Anne-Catherine Gillet, soprano léger, espiègle et agile comme un torrent d’eau fraîche. On s’amusera de la manière dont Jérôme Boutillier fait craquer – dans le dos – l’habit de Gondremarck, d’une voix surdimensionnée pour le rôle, et à l’inverse de la sobriété de Marc Mauillon, évitant d’user de l’ambivalence de son timbre pour surjouer Bobinet. On relèvera l’importance donnée à des rôles plus que secondaires dans la version usuelle : Urbain, par exemple, tiré de l’ombre au troisième acte par l’Air du chapeau puis par le Trio diplomatique. Philippe Estèphe lui prête la saine vigueur de son baryton. D’après Alexandre Dratwicki, ces deux numéros auraient été supprimés avant la création en raison de la mésentente entre Offenbach et le premier interprète d’Urbain, Lassouche (1828-1915), lequel dans ses mémoires oublie – volontairement sans doute – de mentionner l’œuvre et le rôle qu’il y joua. Ironie du sort : si l’on continue de parler de lui, c’est grâce à cette autre Vie parisienne.
* Triolet de Gardefeu ; final du I avec vapeur et sifflets ; final du II avec Marseillais et Allemands ; air d’Urbain ; trio diplomatique ; quintette en mazurka ; chanson de la balayeuse ; pastourelle ; galop final du III dans sa première mouture ; entracte du V dans son orchestration complète ; récit de l’air de Metella ; 2 pantomimes sur Don Giovanni ; charivari pour 4 pianos et 3 chœurs ; amorce du choeur final